Le vent est tombé. Un soleil pâle avive l’argent des branches nues. Je suis au milieu d’une grande gravière, la canne sous le bras, la mouche pincée entre l’index et le pouce de ma main gauche, en attente. Enfin, des mouches apparaissent, passent, leurs ailes agitées de promesses aériennes. Des gobages aussi. Violents, sonores, éclaboussés, des ombres sans nul doute. Là où le courant est moins vif, de part et d’autre de ces remous paresseux, d’autres ronds; timides, lents, empreints d’une certaine mollesse… Je dépique un poisson puis, plus amont deux manifestations discrètes. Je m’y porte, le voilier en chevreuil se voit bien et disparaît, happé sans bruit. A la piqûre du fer, la canne encaisse et la soie file prestement suivie d’une bonne partie de la ligne de réserve. Une fuite pesante aval vers la berge opposée, vers les arbres ensoleillés. Le poisson s’est arrêté et j’en profite pour rentrer toute la ficelle tout en descendant les pieds gourds. Un joli noeud saugrenu sur ma tresse m’inquiète. Les anneaux de ma canne souple sont étroits et sur un coup de tête… La perruque franchit cependant tous les arceaux et disparaît enfouie sous d’autres spires grises. La ligne elle-même regagne la bobine et je dois, désormais, faire retraverser au poisson le courant rapide et profond. J’y parviens non sans mal, reculant vers la plage derrière moi. Je vois enfin ma mouche piquée dans le bec et non dans le gras du dos ou bien la queue, comme j’avais pu songer. Maintenant, je regarde ce poisson presque immobile et je songe à tous ceux ayant quitté la rivière depuis une semaine… Je te redresse, tu as l’air bien, tu ne demandes pas ton reste et file sur les galets sombres.