Il avait fallu se placer au mieux car les premiers ombres attaqués en amont étaient imprenables, le vent de face venant compliquer les choses. Fin d’éclosion : les poissons devaient être plus faciles avant notre arrivée ici. Compère est placé juste au-dessus de moi et sort de la soie autant que faire se peut malgré les bourrasques glacées : les derniers gobages se manifestent assez loin et la rivière tire mais la pêche maintenant par le travers est un peu plus facile. Pourtant rien n’y fait, même la sollicitude discrète de l’ami qui me laisse me placer au mieux sur le coup ne suffira pas à assurer un début de réussite. Les poissons montent vite, recrachent encore plus vite (ont-ils seulement goûté mes mouches?) et me narguent à qui mieux mieux. Est-ce ma canne trop polyvalente, qui me permet de passer de sèche en noyée facilement, mais dont l’inertie se fait sentir sur la durée d’une journée de pêche? En tout cas le seul que j’aie touché l’a été en noyée tout à l’heure dans ce grand courant où nous étions descendus… Pas de déception toutefois, cette pêche-là m’envoûte, la quête des lingots d’argent me fascine toujours, je vois de minuscules voiliers grisâtres parfois quand je m’endors… Les gobages se sont espacés, et c’est le froid qui nous fait sortir, d’autant plus que l’eau semble monter légèrement… Tout avait bien commencé la veille. C’était l’un de ces jours calmes et bruineux où il est évident qu’il allait y avoir de l’activité ; on peut être déçu quelquefois malgré ces conditions favorables, mais là, non, tout était en place : des mouches qui sortent, des ronds sur l’eau, pas de vent. Je pêche avec deux personnes qui connaissent bien la rivière et je remarque que l’une se déplace beaucoup tandis que l’autre insiste sur un poisson discret. C’est bel un ombre nerveux qui viendra à la main un peu plus tard, bonne leçon pour moi qui recherchais les plus gros ronds. Les blancs sont nombreux, et les petits ombres aussi… le temps file. La pause café sous le hayon d’une voiture, la compagnie tranquille de mes compagnons du jour, tout cela compte autant pour moi que le temps passé dans l’eau. Merci. La lumière baisse vite mais j’ai envie d’aller voir tout au bout des prés si quelques poissons se manifestent encore. Il y en a trois, et ces trois là vont bien se jouer de moi et s’amuser chacun son tour à me montrer comme ils savent si bien éviter le fer. Dans l’eau jusqu’au ventre, la nuit qui vient, ni bruit, ni vent. De minces filets de fumée bleue s’élèvent au-dessus du hameau en face, puis des lumières apparaissent dans ces intérieurs lointains. Je m’engourdis. Sortir de l’eau à regrets, rentrer à travers les prés. Des migrateurs en route trompettent là-haut dans les brumes. Les grands oiseaux cendrés sont en formation et fuient le froid qui va nous prendre. Argentat, 17 et 16 octobre