Nous étions tombés d’accord avec Alexis pour un grand week-end de pêche pour cet été. Je voulais découvrir la Bienne et il m’a parlé des gorges inaccessibles, de cette vallée encaissée au fond de laquelle coule cette jolie rivière. Rendez vous était donc pris pour dormir dans les bois pendant trois jours avec pour compagnie nos cannes, sacs à dos et matériel de camping indispensable, et mon pote Nico ! On s’est retrouvés vendredi soir en haut du no-kill, à Jeurre, sur lequel nous avons fait le coup du soir, aperçu quelques poissons difficiles et entamé notre trip par une belle bredouille. Le lendemain matin, nous partions pour les gorges, non sans nous être arrêtés à Saint Claude déposer une offrande dans un café, puis en boire deux par la même occasion. Arrivés au village, on a posé les voitures et après avoir vérifié mille fois que nous n’avions rien oubliés, on a entamé la descente sur le sentier baigné de soleil, sentant les pierres chaudes rouler sous nos carcasses chargées, humant ce parfum de sapin et de liberté, en buvant quand même un coup au lavoir. On a donc campé en bas, et pêché comme des malades. Beaucoup de poissons, que des petites, de belles et grosses mouches, dans une rivière claire coulant doucement au milieu de blocs moussus, encadrée par des rives de rhubarbe géante et sauvage. J’ai bien paniqué entre 19h et 20h en attendant Alexis au camp pour le coup du soir, cet empaffé n’ayant « pas vu l’heure », tout occupé qu’il était à pêcher un pool profond et courbe à l’intérieur duquel se trouvait forcément un gros poisson… J’angoissais de l’imaginer coincé en haut (parce qu’il était vachement remonté l’animal), avec une jambe pétée, triste membre honteux de n’avoir pas supporté son quintal dans un endroit si magnifique, si sauvage, si… isolé. J’avais déjà été à sa rencontre une fois et ne l’ayant pas trouvé, accroupi qu’il était sur sa rive prometteuse, j’étais redescendu au camp retrouver le Nico, moins inquiété que moi, serein quand au retour imminent du grand, concentré sur son courant, sa confiance diminuant néanmoins lorsque je lui exposais quelle galère ça serait d’aller rechercher le gaillard de nuit à la frontale dans cet endroit si casse gueule… Il est quand même arrivé guilleret et mon cœur s’est peu à peu calmé sur le chemin du coup du soir, qu’on a fait sur un poste de toute beauté mais dénué de gobages de beaux poissons. Le joyeux retour au camp à la frontale s’est terminé par l’installation des tentes, la collecte de bois, l’allumage d’un feu, la dégustation de bières, d’un bon cassoulet et d’une bonne pipe (allons allons, pas de mauvais esprit…, une vraie pipe à fumer bande de vice lards !) vu qu’on était pas loin de Saint Claude ! On est descendus le lendemain sur ce sentier ombragé tapi d’un humus ancestral, longeant le cours d’eau transparent idéal pour la pratique de la pêche à la mouche. En mode NAV, on a remonté la bordure droite avec Alex, pêchant tour à tour chaque poisson aperçu. On a rien fait et beaucoup appris, partants du principe que les échecs sont inhérents à l’expérience et indispensables aux réussites futures. J’ai réussi à faire deux petits poissons un peu plus tard sur l’autre berge, un peu plus en amont, redécouvrant avec délice les joies que procurent le ferrage d’un poisson en direct visuel. Arrivés sur le poste du coup du soir de la veille, un énorme pool profond, une rive en pente douce, l’autre plus profonde et creuse, dominée par un gros rocher, on s’est chacun posté et attaqué des poissons. Colère monumentale d’Alex qui après avoir attiré mon attention par un cri, casse un joli poisson en ferrant aussi fort que fred51 sur la Moselle. Tapes sur la casquette, jets de pierres et coups de latte dans les bosquets ont précédé un état d’esprit plus calme et réfléchi, suivi d’un dialogue apaisant sur les raisons de cette frustrante casse. En milieu d’après midi, on a retrouvé le Nico qu’on avait perdu, juché sur un rocher, fumant fébrilement une clope sous le coup d’un petit coup de mou physique dû à la grande distance parcouru depuis deux jours et aussi à la déshydratation, puisqu’on avait presque plus d’eau avant d’attaquer la remontée. Cette dernière, lente et chaude, nous voyait suer et nos pensées étaient occupées par l’eau glacée du lavoir dans laquelle nous ne manquerions pas de nous tremper la gueule et les panards, ce que nous avons évidemment fait longuement avec satisfaction. La pause Mac Do à Saint Claude est apparue comme une véritable fracture mais fut nécessaire pour nos corps affamés et non rassasiés de pêche malgré les heures y consacrées durant deux jours, avides de découvrir ce grand no-kill de 5km, en aval, farci d’énormes truites jaunâtres. Je suivais Alexis en voiture lorsqu’il se souvint brusquement d’un accès à la rivière, freinant et tournant à angle droit de la route nationale sur un sentier carrossable, m’obligeant à le suivre dangereusement à cause d’un con qui me collait au cul malgré les flics croisés juste avant. On a posé les voitures et fait le coup du soir sur un poste idéal, un grand pool profond, à l’amont duquel j’ai vécu ce pourquoi j’étais venu pêcher sur la Bienne, à savoir tenter à vue des truites dépassant les cinquante centimètres ! Évidemment, ces poissons sur pêchés ne se donnent pas à n’importe qui (ce que nous sommes pour l’instant…), et les truites connaissent la provenance de vos hameçons, la marque de votre gilet de pêche et le prix de votre moulinet avant que vous ne puissiez tenter un faux lancer. D’énormes gobages surgissaient éparses, tandis qu’un orage sans pluie rendait l’ambiance électrique irréelle. Pas de prises en ce moment magique, mais l’impression d’avoir vécu « quelque chose » qui restera. Le lendemain, réveil à 6h30, nymphes à l’eau une heure plus tard, sur le même poste, sur les mêmes poissons. Toute la matinée à guetter ces grandes truites qui tournent, piochant là un gammare, gobant là où on ne l’attend pas, et se dévoilant un instant avant de disparaître doucement après avoir légèrement détourné leur trajectoire pour éviter mon gammare posé deux secondes plus tôt grâce à deux discrets faux lancers effectué quinze mètres en retrait de la berge… Croyez moi si vous voulez, à un moment on a posé les cannes et les gilets avec Nico et on a mis les pieds dans l’eau pour se rafraîchir un peu la face chauffée par le fort soleil, lorsque je lui dis : « Gros, pile devant toi, à dix mètres au fond, derrière le caillou blanc ! ». Un truite de cinquante en poste. Il ne la voyait pas, lorsque une seconde truite de même taille redescendait vers l’aval, croisant l’autre à trente centimètres, permettant au Nico, qui avait vu la seconde, de voir la première. Cette truite incroyablement proche, en poste alors que nous étions les pieds dans l’eau sur la berge, est même venue vers nous en cueillant ça et là une larve au fond, jusqu’à passer à trois mètres de nos yeux ébahis avant de s’en aller lentement vers l’amont, nous prouvant par son attitude effrontée qu’elle savait ne rien craindre d’humains démunis de grands et fins bâtons désagréables… On s’est baqués avant de partir, appréciant le paysage et l’eau fraîche enveloppant nos chauds corps tout crades. Sur ce poste incroyable, on a plongé et on s’est pris pour des truites, gobant de temps en temps en surface en sortant toute la tête, prouvant tout à fait que la pêche et les poissons sont chevillés à jamais à nos esprits heureux et dérangés par cette passion dévorante. On est sortis de l’eau tous couverts de bacilles coliformes invisibles à cause du fait que les villages et villes de l’amont sont peu pourvus en station d’épurations efficaces, ce qui met cette somptueuse rivière en danger. On a bu la fin du ricard et on s’est salués en se félicitant mutuellement d’avoir partagé ce trip ensemble. A refaire en début de saisons lorsque les poissons seront un peu plus coopératifs, enfin on espère…