Frais ce vent, accompagné d’averses, entre les risées, le spectacle commence; des centaines de petits navires quittent le port pour un voyage unique. Les acteurs principaux, ceux du fond sombre, apparaissent. D’abord discrets, visqueux , puis violents, en salves éclaboussées, les ombres se montrent… Certains restent en surface, pareils aux assées, à happer grassement les ailes bleutées des olives. Je pourrai rester voir, ne rien faire mais j’en suis loin encore… Une roche plate, providentielle, m’évite les coudes levés, l’eau était si proche du bord supérieur du pantalon. Je peine à faire quelques dérives acceptables, l’artificielle ne fait pas tout, surtout si son voyage s’arrête au-dessus du poisson convoité… Turbulences insidieuses, invisibles à mon regard, gardiennes protectrices du trésor pourpre. Le temps n’est plus, les variations d’humeurs des ombres m’absorbent, apathie brutale devant la profusion d’insectes puis frénésie de vie et de faim soudainement restaurée, plus ardente encore, mystérieuse. Celui-ci a pris du bout des lèvres, l’artifice y restera fixé, j’incrimine le fil, l’éloignement… mais c’était moi, ma nervosité, mon désir. Les risées redoublent calmant tout le monde puis le miroir redevenu soyeux , tout reprend alors. Je pourrai poser mais l’agaçante mélopée aérienne de la feuille morte, transpercée par l’hameçon ruine ma pointe. On dirait que ces diables d’ombres savent le bipède hors-jeu, gobant tous insolemment… Celui-ci m’avait oublié et se fait prendre mais cet autre gardera une mouche et un brin de fil…Et celui-là piqué, sautant à deux reprises, un ombre d’automne, vif et dur comme une lame. Les voiliers rescapés s’agitent désormais sur les herbiers pourrissants des rocs sombres, les ombres du courant ont regagné les doux galets. Allons voir si d’autres, ailleurs….