Cette année, pour entretenir ma saumonite, qui j’espère ne guérira jamais, c’est en Irlande que j’ai choisi d’aller mouiller mes mouches. A mon arrivée sur place, le guide qui doit m’accompagner pour mes premières journées ne se montre pas très optimiste : il n’a pas plu depuis près d’un mois, fait exceptionnel pour un mois de septembre, les rivières que je dois normalement pêcher sont au plus bas, et la faiblesse des niveaux a stoppé les remontées de poissons frais. Bref, si la situation n’évolue pas, il faudra se rabattre sur la pêche en lac, du brochet et de la truite. Bref, le lot habituel du saumonier qui doit faire de la pluie son principal allié. Pourtant, comme un signe du destin, la nuit qui suivra verra sévir une formidable tempête. Les trombes d’eau qui l’accompagnent font remettre la pêche au surlendemain, toutes les rivières des alentours étant sorties de leur lit. Le lundi dix-sept septembre, les choses étant rentrées dans l’ordre, je me rends donc sur les berges de l’Erriff. Sur les conseils de mon guide, nous passons la partie amont du beat qui m’a été attribué, d’ailleurs occupée par un autre pêcheur, pour nous rendre plus bas où se trouvent des pools à saumon résidents. En effet, d’après lui, la crue est encore un peu trop récente pour que du poisson frais soit remonté aussi haut dans la rivière. Au bout d’une heure et demie de pêche, après avoir peigné sans succès un gros virage profond et un courrant en pied de falaise, où quelques poissons manifestaient leur présence par des sauts sporadiques, mon guide m’entraîne plus en aval, sur la tête d’un superbe courrant, vif comme je les aime. Au troisième lancer, je ressens dans ma soie comme un gratouillis, comme l’impression d’avoir raclé une pierre, quelque chose qui m’a fait ferrer d’instinct, mais sans résultat, peut-être un peu vite. Nouveau lancer pour faire la même dérive, même sensation au même endroit, mais, cette fois plus marquée. Je ferre et c’est au bout. Après quelques minutes de bagarre, je mettrai au sec mon premier saumon irlandais, un joli grisle de près de 70 cms. Impossible de décrire les sentiments qui se sont emparés de moi à cet instant, sachant que mon dernier et premier saumon remonte à cinq ans, n’ayant l’occasion de me mesurer à ce poisson que quelques journées par an. D’ailleurs, après l’avoir rendu à son élément, submergé par l’émotion, je ne suis plus capable de pêcher correctement, aussi, nous décidons de faire la pause casse-croûte. Une fois remis de mes émotions, la pêche peut reprendre. Presque aussitôt, ma mouche sera prise par un autre poisson, qui s’avèrera être une truite de mer. Sur cette partie du parcours, le fort vent de travers qui s’est levé rend la pêche difficile, mes capacités de lanceur n’étant pas à la hauteur de ce qu’il faut mettre en œuvre pour présenter la mouche dans de bonnes conditions. Je remonte donc sur le haut du parcours, plus abrité, où quelques saumons se manifestaient déjà lors de mon premier passage. Ils sont toujours là et quelques sauts, plus nombreux que le matin, rythment mes lancers et m’encouragent à persévérer. Après un lancer un peu plus long que les autres devant un rocher immergé, un petit grisle surgit de derrière l’obstacle et s’empare de ma mouche avec violence, presque en surface. Le combat sera bref compte tenu de la taille de la bête, moins de 50 cms, qui sera rapidement échouée sur les galets et remis à l’eau. Deux saumons dans la journée, je n’en espérait pas tant ! La journée s’achève et nous remontons vers la voiture en passant rapidement quelques coups sur les pools, jusqu’à atteindre le dernier avant la limite amont de mon beat : un superbe trou profond, marqué à l’entrée par un courrant violent et s’élargissant ensuite en un courrant régulier. Mon guide m’explique comment l’aborder, en lançant carrément en travers pour laisser dériver la soie dans le profond où stationnent les poissons, avant de commencer à stripper lentement… Aussitôt, je met ses conseils à exécution, après quelques shoots d’essai, histoire de prendre la distance, je laisse filler ma soie qui, bientôt, se retrouve dans le profond en limite du courrant et parallèle à ce dernier. Je commence à stripper, un coup, deux coups… et c’est la touche, lourde, franche, puissante. Ma soie se tend, ma canne se courbe encore un peu plus à chaque fois que le poisson sonde. Une averse arrive, mais je ne m’en rends même pas compte, focalisé sur le poisson qui ne veut pas se rendre et que je n’arrive pas à amener en surface. J’en viendrai tout de même à bout. Après dix minutes, je tiendrai et admirerai un superbe mâle de 75 cms, bécard et parfaitement proportionné, à la robe déjà colorée par son séjour en rivière. Lui aussi rejoindra son pool, après une petite séance de réanimation. Cette mémorable journée s’est terminée sur cette prise et je me dois de remercier Jean-Philippe, mon guide, pour ses conseils, sa patience et sa gentillesse, bref, son professionnalisme. Sans lui, je n’aurais certainement pas connu le même succès. Par contre, je crois que question saumonite, c’est en train de s’aggraver !!!