Une heure. Une heure que je remonte cette fichue rivière. Une heure que je n’ai rien vu qui porte points ou étendard dans ces eaux couleur de gin à peine teinté. Quelques barbillons se sont montrés en bordure des courants alors que le soleil descendait des falaises, mais rien de plus. 8 heures sonnent au clocher de Quingey. Il est temps de choisir. Le vent lourd qui vient des gorges me décide : j’ai assez vu la basse Loue pour aujourd’hui. Richtung Cadenème ! Tout est calme comme à l’habitude chez Sanso. Les berges rasées de près sentent le bel été du haut Doubs. Le grand radier devant la ferme brille de mille promesses. « Tu verras, elles sont là mais pas faciles. Le mieux, c’est les petites nymphes… ». Il avait bien raison Sanso. En remontant la rive droite, je repense au mot de Miege : « plus de poissons, c’est une pisciculture ». Et c’est vrai. Une truite tous les 2m à ras de la berge. Mais sous 20 cm d’eau avec 1 bon mètre de surplomb, assez dégagé, autant pêcher en orange fluo avec des bottes ferrées. Les truites sont inapprochables ou presque. La seule méthode est de se mettre à l’eau à 2-3 m du bord en attendant qu’elles ressortent. Et là, après 20 minutes sous un soleil de plomb je teste le deuxième effet kiss-cool de la pheasant tail sur H18 : l’épouvantail. La truite vient voir…. Et pique un sprint comme si elle avait vu une musette. Après 3H de ce petit jeu, trempé comme Landis dans un col, je me pose sur un surplomb et m’en grille une. Je lance le mégot tout près de la berge (ce sont des roulées sans filtre, je précise 🙂 )… et une tatane de 50 monte en douceur pour l’avaler. Restons calmes. C’est rien qu’une camée. Restons calmes. Je perdrais l’heure suivante à poser une imitation de sauterelle à raz des berges, mais le miracle ne se reproduira pas. Je toucherais enfin mes premiers poissons en NAV en début d’après midi. Les truites des radiers étaient bien plus actives que leurs collègues des berges et une PT en 16 ou 18, non lestée, présentée depuis l’amont à au moins à 1m50 du poisson était souvent prise. J’assisterai aussi à la chasse d’une très grosse truite dans peu d’eau. Elle coincera un ombret de 15cm et l’avalera sous mes yeux… par la queue ! posée sur le fond, elle sortira régulièrement pendant plusieurs minutes la gueule de l’eau pour avaler, l’ombre dépassant de la gueule toujours en train de se débattre. Je vais mettre une mouche-clope de 15cm de long parfum ombre moi… Le premier coup du soir sera féerique : les ombres sortiront en masse dans les courants. Peu sélectifs entre chien et loups, ils deviendront exigeants avec la nuit. Une pêche de rêve dans un cadre non moins grandiose… Les jours suivants seront exceptionnels. Les parcours publics de la Loue (Chenecey, Cléron, Ornans…), en cherchant les secteurs les plus inaccessibles, me donneront plusieurs dizaines de poissons magnifiques en NAV. Pour la première fois depuis l’Alberta je me ferai casser deux fois sur de (très) belles tatanes à rayures. En soignant les approches une nymphe peu lestée de couleur neutre était prise presque systématiquement. En revanche pas question de monter au dessus du 12% sous peine de voir les refus augmenter (et en particulier de se priver totalement des ombres, très sensibles au diamètre du fil par ces eaux basses). Un petit mot encore sur une rivière peu connue car totalement privée sur laquelle j’ai eu la chance d’être invité : le Lison. Petit affluent de la Loue prenant sa source à Nans-sous-Saint-Anne, ce bijou coule dans des gorges encore plus impressionnantes et difficiles d’accès que celles de la Loue. Très protégées (à Nans-sous-Saint-Anne seule la sèche sans ardillon et le ver de terre sont autorisés. Pas de cuillères ou autres rappalas. Et la garderie assurée par des passionnés est bien là !!), les truites et les ombres reviennent bien depuis plusieurs années après l’installation de stations d’épuration dans les villages alentours. Si les poissons sont en moyenne plus petits que sur la Loue (mais bon, avec une truite de 4,5kg sortie à l’ouverture cette année, ça reste raisonnable !), leur comportement est vraiment celui de poissons sauvages. Même en pleine journée, il est rare qu’une oreille de lièvre traverse un courant sans encombres. Quand les insectes sortent en revanche, impossible de faire monter qui que ce soit avec une imitation approximative. Vers le soir, alors que je pêchais la source du Lison dans une eau glacée, un orage de chaleur est arrivé dans la reculée. Dans une lumière de fin du monde, de gros éphémères (des heptagénidés marrons à très longues cerques) ont débuté leur lent ballet vertical. Le grondement du tonnerre renvoyé par les falaises se mêlait à celui des sources dans un concert grandiose. Trop tatillons les ombres sont restés insensibles à mes appâts terrestres, absorbés qu’ils étaient par la colère du ciel. En passant à Myon, sur le bas Lison, j’ai vu à l’entrée de l’épicerie que la pêche était désormais fermée sur les secteurs aval par manque d’eau. Prions ensemble mes frères pour qu’il pleuve vite. Cette merveille en a bien besoin. @+ maski