Et soudain le vent s’est arrêté.

10 décembre 2018

24 - Dordogne

Dordogne

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C’est en fin de matinée que le vent c’est levé  Un vent régulier d’ouest, la direction la plus défavorable sur la Dordogne.

Lorsque j’arrive au bord de l’eau ce samedi vers 14h15 la surface est ridée. Malgré l’absence de mouches, quelques ronds éclaboussent la surface. À 5 m du bord, un beau gobage régulier laisse entrevoir un étandard rouge. Vu les conditions, sans cela, je serai sans doute reparti.

À cette saison tout est plus compliqué. S’habiller demande  plus de temps, plus d’efforts. Il faut enfiler plus de couches, soigner les jointures car l’eau froide cherche le moindre bout de peau pour y planter ses serres froides. Faire des nœuds est plus délicat avec des doigts gours. Et les efforts fournis pour lutter contre le froid finissent par peser sur la performance en action de pêche.

Malgré une approche délicate et des dérives aussi soignées que possible malgré le vent, le poisson du bord s’est déplacé de 20 m vers le centre de la rivière dès les premiers lancers. Il fait toujours de jolies bassines. Je m’avance pour l’attaquer et il ressort 25 m plus bas. Incroyable, c’est un truc de fou. Il va me faire tourner en bourrique. Il gobe toujours à la limite des lancers mais avec le vent, impossible de faire une dérive correcte. Il connaît la musique.

Il va falloir ruser. Vu qu’il réagit au bruit de mes déplacements et de mes arrachés je vais arrêter de le pêcher, graisser mon bas de ligne et attendre qu’il repasse à portée. Selon toute vraisemblance, quand il va reprendre confiance, il va vouloir revenir vers son poste d’origine à 5 m du bord. Il devrait passer juste devant moi.

Les mouches commencent à défiler mais le vent turbulent ne va pas rendre les lancers faciles. Comme prévu  au bout de quelques minutes, l’ombre prend le chemin du retour. Il est désormais à une quinzaine de mètres trois quarts aval. Premier lancer plein fer il va prendre… maintenant. Heu non. Deuxième dérive, rien. Il bouge un peu mais je suis dessus. Il prend toutes les mouches qui passent mais pas la mienne. Il faut changer de modèle. Pour le décider et qu’il repère mieux ma mouche, j’en choisis une plus fournie sans changer la taille de l’hameçon. Mais le poisson ne fait aucun effort pour la prendre. Il va falloir la lui poser dans la bouche. Calcul du rythme, posé sur le nez : pendu. Avec ce vent et des poissons aussi tendus du string, l’après midi va être compliqué.

Comme un pêcheur vient d’arriver sur le poste, je décide de migrer vers l’amont. Avec l’arrivée d’une averse, le vent redouble. En raison de la hausse du débit, les poissons se sont rapprochés du bord. La moitié du spot est moins sensible aux rafales  Les poissons sont à portée mais il faut de nombreuses dérives pour les décider à monter. C’est galère.

Puis soudain  le vent s’est arrêté. J’ai réussi à enfiler mon 12 centièmes dans le minuscule œillet de l’imitation en 22 plus conforme à la taille des insectes présents sur l’eau, et la musique a changé. À chaque dérive correcte, souvent la première, les ombres dauphins sortaient la moitié du dos pour prendre le petit point blanc attaché à la pointe de mon bas de ligne. Autant tout à l’heure, il fallait leur mettre la mouche dans la gueule ; ce qui n’est pas simple sur des poissons mobiles, autant maintenant, ils n’hésitent pas à monter même si la veine de la dérive est approximative.

Comme touché par la grâce, affûté par un automne de pêche, je profite pleinement de ce moment rare de bénéficier de très bonnes conditions de pêche mi décembre. L’œil fixe le point où doit se poser la mouche et la mouche arrive au centimètre près. Puis sans réfléchir, le bras se tend pour assurer la prise. La Dordogne ressemble à une mer d’huile. Une petite bruine encourage les mouches à émerger. De ci delà, des nez crèvent la surface. Le plus dur est d’approcher sans faire se dérober les poissons. Avec la petite mouche, le reste est une formalité.

Les poissons sont combatifs, gras mais portent parfois les stigmates d’une rencontre avec un autre pêcheur.

Puis j’ai entre aperçu cette queue bleue une bonne cinquantaine de centimètres derrière le nez à l’origine du gobage qui venait de crever la surface. C’était lui, LE poisson pour lequel on fait tous ces efforts ; il était là, à portée de canne, idéalement positionné. En d’autres temps mon bras aurait tremblé mais aujourd’hui, il ne pouvait rien m’arriver.

Quand il a senti le fer, le poisson est parti vers le centre du lit en donnant des coups de tête. Je lui ai donné de la soie. En travers du courant ces coups lourds me confirmaient qu’il s’agissait bien DU poisson. Petit à petit  je l’ai ramené, à rentrer la soie dans les anneaux mais il a redémarré. Un instant, au moment où un noeud s’est bloqué dans un anneau, j’ai pensé le perdre. Mais la soie a fini par sortir, permettant au poisson de regagner le large.

À reculons, je l’ai tracté en douceur vers la plage. Puis il est monté en surface pour tourner sur lui même envoyant ses reflets bleus dans toutes les directions. Il s’est calmé, et s’est tourné en travers dans les 30 cm d’eau plate dans laquelle je l’avais trainé me laissant entrevoir des mensurations hors norme  Puis, il s’est décroché.

Le vide de la terre entière a alors envahi mon corps. Si près du but et si loin à la fois. Plus rien ne peut alors avoir d’importance. Ni les gobages encore présents en nombre, ni la dizaine d’ombres pris en une heure et demi : rien ne peut combler ce vide.

J’ai donc rembobiné ma soie et j’ai regagné la voiture. Ce poisson a gagné sa place dans mon musée des poissons échappés. Ceux que je regretterai toute ma vie de ne pas avoir pu prendre en photo. Il trône aux côtés d’un bull géant perdu sur la wigwam et d’un saumon décroché dans le nokill de Beaulieu.

Mais quand le vent s’arrête, ça change tout.

Fred

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