M’y voici dans la rivière, à mi-cuisses, derrière un bloc au contrefort sablonneux. La pêche n’est que le prétexte pour oublier la chaleur du jour, l’asphalte des trottoirs et rechercher l’humide, le sombre, le vert. Les renoncules fleuries émergent et disparaissent au gré du flot dans les courants plus profonds. Les massifs émergés gardent mémoire des vies silencieuses des insectes; éphémérelles agonisantes, exuvies des trichoptères y figurent en force. De mon îlot, je parviens à connaître les auteurs de ces gobages sonores dans les trouées végétales, de superbes assées festoyant en ces premiers jours d’été. Les sautillements désordonnés des phryganes excitent tout autant les jeunes poissons qui s’y prennent avec peine pour s’en saisir. il faudrait maintenant trouver manifestation plus discrète, léger remous au sein d’un courant sombre, vif, la bulle éphémère… Là, cette poche calme au cul de cet herbier bifide cache un poisson invisible qui se trahit par des turbulences à gauche, puis à droite. Je ne me fais pas d’illusion avec mon sedge imposant, le coup n’est pas facile , ça drague plus qu’il ne faut… Le poisson continue ses montées, épargnant les phryganes maladroites. Je noue un simulacre d’émergente, vite dit, je ne la distingue plus après quelques lancers… Pourtant sur ce poser, j’ai vu le poisson monter, se retourner, s’arrêter et j’ai ferré. Le lien est établi, ce n’est pas une assée en smoking nacré mais un ombre pugnace utilisant le flot. Un mâle avec des cicatrices du printemps. Le soir avance, la fraîcheur m’apaise, je cherche d’autres poissons, d’autres gobages. Ce seront d’autres ombres, nerveux, durs, parfaits, sans robe écaillée ou rougeurs aux nageoires. De truites, point, des jeunes que je laisserai tranquilles avec leurs phryganes agaçantes… Il est temps de quitter la rivière, le ragondin festoie lui aussi des tiges craquantes des renoncules.