Dans tout match, il y a un moment où tout point marqué compte plus que les autres. C’est le money time. Sur la Dordogne, il y a des moments où les gros ombres gobent les insectes : c’est ce que j’appelle le goret time. Il est très facile de passer à coté de ces instants rares au cours d’une saison. Outre les erreurs de placement qui empêchent de toucher ces poissons, le fait de s’attarder sur des poissons plus petits est la cause la plus fréquente d’échec. Aujourd’hui, l’objectif est simple pour moi : toucher un gros ombre à savoir tirer profit du goret time… 3 c’est le nombre du mouches « qui le font bien en ce moment » que j’ai eu le temps de monter. Je n’en ai pas une de plus. Je ne sais pas si c’est le fait de voir le pêcheur à la mouche en face de moi enfiler un ombre dans une poche en plastique verte d’épicerie qui m’a rendu nerveux mais le premier poisson qui est monté sur ma mouche a reçu un ferrage nerveux. Je n’aime pas ça mais en ce moment, j’ai du mal à doser (à moins que ça ne soit mon fil?). Peu importe, les gros du coin ne sont pas dehors. Arrivé sur le deuxième spot, il me faut 10 bonnes minutes pour localiser les poissons. Sur cette grande gravière, ils changent de position en fonction des niveaux et de leur humeur. Ce que je craignais se réalise, les poissons sont comme à leur habitude très haut sur le poste. Pas sûr avec ce débit que j’arrive à remonter assez haut. Qu’importe, mètre par mètre, j’avance dans l’eau à la limite de l’adhérence des pieds avec le fond. Je remonte sur un haut fond pas très large mais de profondeur assez constante. Au bout de 70 m, je stoppe la progression car je ne dois pas être mal. Arf, ils sont encore plus haut. Sur la pointe des pieds, il faut que je progresse encore un peu. L’éclosion est poussive mais quelques ronds sporadiques auréolent la surface. Le premier candidat crève la surface à une douzaines de mètres plein amont. Au moment du posé, le bas de ligne forme une mini perruque. Pas bon ça. Pourvu qu’il ne monte pas… Trop tard, la mouche disparait dans un entonnoir suceur : cassé comme prévu. Je remets une pointe et y noue ma dernière mouche « qui le fait ». Et là, il est apparu. Posté à environ 10 m de moi, trois quart amont prenant avec une délicatesse infinie les subimagos. C’est incroyable la taille ridicule des gobages que peuvent faire ces grands poissons. Une sulphure le laisse de marbre mais la petite olive qui la suit provoque un nouveau bisou. Ce coup de ligne est loin d’être le plus difficile que j’ai eu à faire. Si bien qu’au premier passage, l’affaire était entendue. Comme s’il connaissait la suite des évènements, celui-ci se rend assez rapidement, se prêtant avec classe à la scéance photo. Ca y est, on est au coeur du goret time. Je viens de faire mon plus bel ombre de la saison. Mais quelque chose ne va plus. Une sensation bizarre, un coude puis deux qui trempent dans l’eau. Pas normal ça. Lorsque je réalise, il est déjà trop tard pour l’appareil photo. Il pisse l’eau par tous les trous. Dans un dernier coup de flash il me renvoie dans son écran une image terrifiante : l’eau n’est plus qu’à quelques millimètres du haut de mes wadders. J’ai déjà bouffer les 10 cm que je garde toujours par sécurité. Je ne peux désormais plus rien pour l’appareil; il vient de s’arrêter mais j’ai autre chose à sauver : ma peau. Le bord n’est pas loin à vol d’oiseau car j’ai franchi à peine plus de la moitié du lit. Mais le rejoindre en ligne droite serait la dernière chose à faire compte tenu du trou qui m’en sépare. En 1996 un pêcheur a payé de sa vie pour avoir commis cette erreur. Sans même prendre le temps de rembobiner la soie, tenant mon APN à bout de bras, je me laisse porter vers l’aval sur la pointe des pieds. Par deux fois, je n’ai plus rien senti sous mes semelles. Mais la poussée d’archimède m’a maintenu à flot. Je ne sais pas comment j’ai fait pour rester sur le sommet étroit du haut fond mais j’ai réussi à retrouver le passage. Je ne suis pas du genre à avoir peur avec de l’eau à l’étiquette du pantalon, mais je dois bien avouer qu’avant de retrouver la plage, j’ai trouvé le temps long. Sitôt au bord, je ne peux que constater les dégâts, mes boites à mouches sont trempées, l’appareil photo a pris l’eau, il y en a dans le logement de la batterie, de la carte mémoire et même dans l’objectif. Je me suis laissé surprendre par un coup de Maronne. Ils ne font pas semblant. Faites super gaffe sur cette rivière, j’aurai pu perdre bien plus qu’un APN mais je suis tout de même content d’avoir marqué durant le goret time. ;-)))