Je te tiens..

16 juillet 2010

34 - Hérault

Jaur

cérou

La nymphe va passer exactement où il le faut, à quelques centimètres à gauche de son museau, tirée sur le fond par le léger courant. Sera-t-il assez curieux, aura-t-il envie de la cueillir au passage ? Depuis quelques jours je cherchais l’endroit idéal sur ce gros ruisseau qu’est le Jaur non loin de sa confluence avec l’Orb ; un endroit peu profond où les barbeaux se laisseraient glisser depuis le gour rassurant, une plage où ils viendraient de temps en temps soulever des galets en quête de larves… Le coin qui me plaisait l’an passé avait changé, trop de graviers arrivés, les caches sous les vergnes colmatées, les rouges racines de l’arbre d’eau n’offraient plus à la troupe l’abri escompté. Alors il a fallu explorer, passer contre des murs de pierres sèches le long des parcelles si soignées, surprendre le jardinier qui s’affaire de bonne heure dans son carré et même à l’occasion se laisser inviter à visiter l’endroit. Un passionné dans son domaine qui m’explique comment il se passe de pharmacien depuis longtemps, grâce à telle plante ou aux préparations élaborées avec telles fleurs… Je repense aux écrits de J.C. Carrière qui est né et a vécu ici, qui a pêché à la main sous ces pierres, à son « Vin bourru » qui m’a fait encore plus aimer ce lieu. Des faïsses abandonnées montrent que la vallée perd ses vieux gardiens, la rivière n’accapare plus toute l’attention sur les gradins qui la bordent. Enfin je trouve ce que je voulais, la plage avec 30 cm d’eau qui succède à un trou au fond rocheux. Je pourrais attaquer à l’aveugle dans ce profond où de temps en temps un ventre clair apparaît mais je préfère attendre qu’un individu vienne se mettre en place tout près… Les hautes herbes de la berge seront ma toile de fond protectrice…patience… Je prépare une nymphe un peu ébouriffée, montée avec une bille orange et une perle jaune car je veux au moins la voir descendre, anticiper et corriger s’il le faut sa trajectoire. Je n’ai jamais réussi à faire en sorte qu’un barbeau se déplace latéralement de plus de quelques centimètres, alors je lui amène la gourmandise tout près, parfois trop près. En attaquant le poisson, il faut faire attention à ce que le fil ne vienne pas le toucher, sans quoi il va s’enfuir à tire-nageoires. Patience, celui-là approche, vient vers l’aval et puis se place museau vers l’amont et commence à fouiller le gravier grossier. Il est magnifique, 60 cm peut-être, ce qui est beau dans cette petite rivière, mais ce n’est pas le plus gros de la troupe. Il est si près que j’hésite, ça paraît incroyable qu’il ne me repère pas ! je suis gêné par les herbes, et puis ces cigales qui me vrillent les oreilles, et la chaleur qui monte, et… tant pis, il faut lancer, il s’est suffisamment éloigné dans sa recherche, je peux faire un minimum de gestes sans qu’il ne s’en avise. Le ploc est peu discret mais il est très occupé à gratouiller… La nymphe va passer exactement où il le faut, à quelques centimètres à gauche de son museau, tirée sur le fond par le léger courant. Sera-t-il assez curieux, aura-t-il envie de la cueillir au passage ? Oui ! Il va au devant de l’imitation, l’aspire et la mâche. Je vois cela distinctement, à quelques mètres de moi, dans peu d’eau, claire et sans presque de courant ni de turbulence. Il mâche ! Ai-je ferré, s’est-il piqué tout seul ? En tous cas le départ est tonique, il a l’énergie d’aller deux fois semer la consternation dans le trou au milieu de la tribu affolée avant de venir rouler sur le côté, tout essoufflé (si c’est possible pour un poisson ?). Ses 58 cm de bronze et d’or se remettent lentement de la bagarre, me laissant le temps de faire quelques photos sans épuisette ni fil à la barbiche, puis, soudain, en deux ou trois coups de queue rageurs il part retrouver son rang dans la troupe devenue fébrile.

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