Je n’ai rien pris ce soir, comme lundi, comme mardi, comme tant d’autres fois. Comme prévu. Je n’étais pas là pour ça, mais pour entendre l’eau couler et voir encore la rivière, une dernière fois avant de partir. Le Gave est à plat et les poissons sont terrassés par une chaleur lourde, mais même à genoux la rivière est belle. Le soleil n’a pas encore fait pousser d’horribles algues brunes sur les radiers qui exhibent sans pudeur leurs superbes galets ronds. Les banquises scintillent comme jamais, mais les truites, rares et toujours difficiles à débusquer, semblent avoir disparu pour de bon. Il y avait bien eu ce poisson de 45 que j’avais observé presque une heure se promener le long de ma berge avant de lui faire prendre deux fois la nymphe sans jamais avoir le coeur de la ferrer (ne pas l’embêter inutilement, je suis déja rassasié de l’avoir observé!), mais les coups qui m’avaient permis de toucher quelques poissons au cours de la saison sont désormais tous à sec ou inoccupés. Je roule de poste en poste et au détour de chaque chemin, de chaque village, des images ou des anecdotes de la saison écoulée me reviennent. Bouffées de nostalgie. Un jour, une heure, un poisson, une bredouille, un décroché, une casse, une éclosion, ou encore une simple ombre aperçue. Un grand museau crevant la surface. Etais je seul ? Non, je ne crois pas, d’ailleurs c’est ce jour là que … Tous ces lieux ne me sont plus anonymes et sont irrémédiablement associés à tellement de souvenirs. Est ce normal d’avoir déja ce genre de pensées à 25 ans ? Toujours est il que je roule encore, car il fait tellement chaud qu’un peu d’air est bienvenu. Je pousse jusqu’à Navarrenx où je vois trois gus en train de braconner le parcours nokill. Il commence à être tard et je n’ai toujours pas pêché ni enfilé le wader. Je sais qu’il fait trop chaud, qu’il n’y a pas assez d’eau, et que je ne verrais pas un poisson. A 21h je me laisse quand même tenter et je pars en wet wading sur un secteur que j’adore. L’eau me parait délicieusement fraiche. A ma grande surprise je verrais quelques gobages (irréguliers). Je ferais même monter un poisson qui cassera l’hameçon au ferrage. Original, non ? En droite ligne d’une saison marquée par une cruelle absence de réussite. Touche finale de mon ultime bredouille, une riquette qui se dépiquera sur une mouche laissée à draguer 3/4 aval. En pliant la canne pour la dernière fois je me suis demandé quand, et quel sera le prochain poisson que je prendrais. Un baby tarpon angolais ? Une truite néo zélandaise ? On verra, mais ces poissons auront fort à faire pour me faire oublier la plus belle rivière du monde. Merci à tous ceux qui m’ont accompagné ou que j’ai croisé sur les gaves : Greg, Lionel, Xavier, Eric, François, Serge, Christian, Cédric, Frédéric, Matthias, Jean Yves, Rodolphe, Franck, Nicolas, Maxime, Stéphane, Thierry, Vincent … En mon absence je compte sur vous pour continuer à relâcher nos rêves et à prendre soin de ces rivières magnifiques.