Depuis une douzaine d’années j’effectue chaque été un séjour de pêche en Autriche dans un des hôtels dont on peut trouver les coordonnées dans divers dépliants touristiques. Mon épouse et ma fille m’accompagnent toujours en touristes dans mes pérégrinations halieutiques et, jusqu’à présent, me fiant aux informations des plaquettes publicitaires, j ‘avais toujours eu la chance de porter mon choix sur des destinations qui m’avaient donné globalement satisfaction. Cette année, pour une semaine au milieu du mois d’août, mon choix s’est porté sur les parcours de l’hôtel Braürup à Mittersill… 100 km de parcours répartis sur une dizaine de cours d’eau situés dans un parc naturel (si un orage localisé survient, il serait possible de se replier sur une rivière ayant échappé à l’averse), nombreux parcours no-kill exclusifs «mouche », lacs, prises records réalisées les saisons précédentes sur une grande rivière, boutique située dans l’hôtel et présence d’un technicien-conseiller local, de quoi rêver avant de partir! Le soir de mon arrivée, je prends contact avec un confrère, français et indulgent, qui terminait son premier séjour en Autriche. Pêcheur du Rhin, il m’annonce que tout lui semble «bizarre» et qu’il ne reviendra probablement jamais en Autriche : peu de poissons, conditions de pêche difficiles, nombreux pêcheurs sur les parcours, accueil discutable… Fort de mes bonnes expériences des années précédentes, je le classe (trop) rapidement dans la catégorie des grincheux et décide d’attendre pour voir… Dès le lendemain, premier arrivé au petit-déjeuner, premier sur les bords du parcours de 18 km de la Salzach qui coule non loin de l’hôtel, et première déception : me voici devant une sorte de canal presque rectiligne dans lequel le flot opaque coule à pleins bords. Les deux rives sont constituées par deux digues aux parois presque verticales formées par des blocs parfaitement équarris et jointifs: ce parcours doit être différent à l’automne mais aujourd’hui, je ne monterai même pas ma canne pour y lancer une mouche. Qu’à cela ne tienne, il y a encore plus de 80 km à pêcher sur les autres rivières: en route pour la partie basse du Felberbach. C’est un torrent de 6 à 8 mètres de large qui dévale le plus souvent sous une voûte de branches; de ci de là il est possible de poser sa mouche sur une bordure ou derrière un rocher et j’ ai ainsi quelques bonnes surprises en tapant l’eau consciencieusement avec une mouche bien visible. A la fin de la journée, comme mon confrère alsacien, j’aurai laborieusement pris une quinzaine de poissons dont le plus gros dépasse de peu les 30 cm… Demain me dis-je sera un autre jour! Le second jour, j’attaque la partie amont du Felberbach et de son affluent l’Amerbach, pour une pêche dans des conditions voisines (rivières plus étroites et moins d’arbres cependant) et pour le même résultat, si ce n’est que les poissons sont plus petits… La moutarde commence à me monter au nez. Le soir, une interview laborieuse du «Fishereiexperte » me permet de comprendre que les conditions de pêche sont considérablement plus favorables dans la partie supérieure du Krimler ache! Ce sera donc ma destination du lendemain. En voiture pour la petite bourgade de Krimml, porte d’entrée du parc naturel… dans lequel il est interdit de pénétrer avec sa voiture, qu’il faudra donc garer sur un des parkings… payants! Le parcours rêvé se trouve tout là-haut, en amont de la chute d’eau, qui tombe d’une hauteur de trois cents mètres ! On peut bien sûr y accéder à pied, après un marche de près de trois heures en portant le matériel et il faudra presque autant de temps pour redescendre; heureusement, il y a une autre solution qui consiste à emprunter un taxi autorisé (moyennant 17€ par personne pour l’aller-retour : avec des enfants, nous nous y entasserons jusqu’à 13 chauffeur compris) mais cela me laissera au moins le temps de pêcher… Le parcours est magnifique, surtout dans sa partie aval. Les poissons sont nombreux, collés contre les berges creuses, c’est là qu’il faut aller les débusquer, vraiment à quelques centimètres de la tombée des rives hautes. Il faut pêcher sans attendre de voir des gobages, les truites ne sont pas trop sélectives et prennent sans chipoter les mouches qui passent à portée. Ouf, enfin une bonne journée de pêche. Je reviens le lendemain pour pêcher la partie amont de ce même parcours, le temps est toujours superbe ; comme hier, j’ai peu de succès avant 10h30 et c’est alors que se lève un vent violent qui remonte de la vallée et qui ne faiblira pas jusqu’au moment de quitter les lieux : impossible de pêcher à ras des bordures comme la veille et de poser proprement ma mouche ; seuls quelques lancers heureux sur des postes dont la locataire était peut-être moins méfiante me permettront de toucher quelques poissons ; et bien sûr pas question d’attendre que le vent tombe pour un coup du soir compensateur puisque l’heure de retour a été impérativement fixée à 17h30 par le chauffeur de taxi. Pour les jours suivants, les prévisions météo annonçant des orages sur les hauteurs et la ponction quotidienne de 51€ me conduisent à me cantonner sur les parties aval des autres rivières qui me restent à découvrir : Hollersbach, Habach, Unter et Ober-Sulzbach: il doit y avoir de quoi occuper les trois jours qui restent… Tous ces «grands ruisseaux de montagne avec des cuvettes de taille moyenne et grande» ainsi que les qualifie la brochure de l’hôtel, coulent eux aussi dans le parc naturel et sont donc inaccessibles en voiture. Je me gare tant bien que mal sur un des parkings prévus tant les lieux sont fréquentés par les randonneurs… Chaussures de marche, sac à dos et en route sur les chemins bordant ces «grands ruisseaux… » qui se révèlent plus agités, bondissants et bouillonnants que le parcours olympique de slalom en canoë-kayak, avec les arbres en prime et des berges parfois hautes de deux mètres… Je pourrais, bien sûr, lancer ma mouche dans cette écume bouillonnante. Restons optimiste et gardons notre calme légendaire; il reste encore les lacs de montagne… Elisabethsee, Hintersee, Blausee, Stausee… Allons donc les voir ces lacs, parfois balayés par un vent violent mais si calmes en début de matinée… jusqu’à ce qu’arrivent les amateurs de bronzage, de barbecue, de baignade, de lancer de bâton au chien-chien qui va chercher à l’eau, les marmailles piaillantes et les pêcheurs locaux au bouchon qui balancent leur pelote d’asticots à 40 mètres et qui repartiront après deux heures de fauteuil, et malgré le no-kill, avec une pleine bourriche de truites arc-en-ciel en manches courtes… Retour au bureau du « Fishereimeister »… il pourrait peut-être me conseiller un secteur où je puisse enfin « pêcher classique »… ? «Toutes les rivières sont alimentées par des glaciers, et en cette saison, bien que les eaux soient transparentes, elles ont un très, très fort débit… Allez donc voir le Stubach… » qui coule effectivement très tranquillement, trop tranquillement : trois heures de pêche appliquée ne me permettront même pas de faire monter une truitelle… Bien sûr, je n’ai pas parcouru la totalité des «100 km» de rivières. De retour dans ma ville, je vais ranger mes cannes et mes boîtes à mouches d’ici à la fermeture, mais ce ne sont pas les souvenirs de cet été ne me permettront de mieux supporter l’hiver sans pêcher. Je pense à vous, confrère alsacien qui m’avez gentiment abordé pour me faire part de votre déception, en qualifiant simplement votre séjour de « bizarre » et en me présentant spontanément les mouches avec lesquelles vous aviez obtenu des succès… L’un comme l’autre, nous n’avons pas eu de chance en choisissant ce lieu de séjour, mais je vous assure qu’il y a de nombreuses autres destinations en Autriche qui méritent votre visite. Il faudra que nous apprenions à lire entre les lignes des plaquettes et comprendre que s’il n’est pas mentionné « nur fur Hausgaste » cela signifie que les parcours sont ouverts à tous, que la mention no-kill ne s’applique pas à tous les pêcheurs, que «grand ruisseau de montagne » désigne un torrent bouillonnant, « ruisseau de montagne très sauvage» équivaut à parcours de slalom pour canoë-kayak, « accès diffici1e» vaut inaccessible, que si « on peut vous réserver un taxi » c’ est qu’il vous est interdit d’utiliser votre véhicule personnel et qu’enfin les lacs sont des points de rassemblement pour amateurs de bronzage sportif tout temps… Encore heureux qu’il ait fait beau!