Les poissons des ruisseaux qui coulent près de la maison se sont montrés généreux ces temps-ci : petites truites vives à l’affût, chacune son devant de pierre ou son tombant de noisetier. Les niveaux qui ont baissé et se stabilisent permettent une prospection plus habituelle des parcours si bien connus. Pourtant j’ai envie, pour le coup du soir, de masses d’eau plus conséquentes. Comme la soirée d’avant n’a rien donné du tout sur le NK du Thoré, encore trop fort, je me dirige vers le Jaur, sur l’autre versant. En plus cela me permettra d’échapper peut-être à l’orage qui s’annonce côté tarnais. Des nuées commencent à s’accrocher aux sapins là-haut, le fond de vallée devient gris de plomb alors qu’on aperçoit une trouée lumineuse au loin vers la vallée aux cerisiers. Calme plat ici aussi… je suis descendu très en aval là où la vallée se resserre, où les blancs dominent mais où certains courants abritent encore de beaux poissons de cette souche méditerranéenne qui résiste aux déversements les plus fantaisistes. Il n’est pas tard mais la lumière baisse vite, trop vite… l’orage est en train d’arriver, quelque chose dans les orangés précède la venue d’un ciel d’outre-terre et le premier éclair ne tarde pas. Premières gouttes larges et lourdes, pas de gobages. Un premier éclair entre deux nuages, la surface criblée par l’averse, pas de gobages. La foudre frappe une paroi, la montagne se fait bleu-électrique : un poisson se montre, fuseau presque irréel entre gouttes et courant. Je pose au jugé, fais draguer la grosse mouche et encaisse une attaque lourde, enfin. Je toucherai quatre truites de la rivière, dodues et dorées, et même une grosse arc en ciel au gobage sonore. Quelques minutes folles, sans faire un seul pas, canne dressée le moins souvent possible, de peur de faire office de conducteur, dérisoire fusible l’espace d’un instant figé. Le retour est épique, à travers buis et chênes verts, accompagné d’un flash céleste toutes les vingt secondes. Enfin la route. Il ne reste plus qu’à rire aux éclats, complètement frappé…
