Il y a ces lignes, ces chapelets de bulles, ces courants, ces remous. Perpétuellement changeant et immuables. Le regard s'y accroche, suit la branche, la feuille sèche emportée par la brise au fil du flux. La pensée diminue, l'attention n'est plus la même. Le cérémonial du rite aussi est immuable, ce fil, cette mouche, cette ligne cette canne , la main. Aujourd'hui, l' eau est si puissante , les branches battent l'eau en face et s'entendent de ma place, son répétitif, hypnotique… J'entends le premier merle et les décharges des pics sur les troncs. Les collines virent, des violines, des blancs s'aperçoivent , la lumière n'est plus celle de l'hiver. Puis je suis sorti de ma douce torpeur en les voyant ces brunes de mars accompagnées par leurs cousines grises; je les ai suivies du regard, surtout lorsqu'elles abordaient ces ressauts immergés où elles ralentissaient leur fuite, s'écartaient et s'en retournaient presque. Ensuite il y eut d'autres remous encore plus désirables, ceux qui sont mobiles, où l'on voit un peu de noir apparaître. Il y eut un chapelet d'insectes et la truite les engloutit tous sans exception, sans redescendre sur ses galets, en silence, juste cela dans le cours immuable de l'eau. L'eau est entrée aussi par le haut de la combinaison quand j'ai décidé de tenter , elle est parvenue tout en bas aux orteils, presque douloureuse. Ma mouche s'est posée avec d'autres en amont, et lorsqu'elle a initié une griffure d'envol, le poisson l'a interceptée. je n'ai rien fait, j'ai même tendu le bras, rendu la main puis j'ai redressé le bras, la sensation du vivant de l'autre côté du miroir. J'ai dû accepter de me faire mordre de nouveau par cette eau glaciale pour regagner la berge, pour regarder la beauté, le vivant, l'essentiel.