Par avance Cette rubrique est prévue pour raconter nos sorties de pêche, celles qu’on a faites, peut-être pas pour évoquer celles à venir… On va à la pêche avec l’espoir de prendre un poisson plus gros ou faire plus de captures que la dernière fois : bref, aller vers la surprise, découvrir de nouvelles sensations. Eh bien aujourd’hui, j’ai envie de parler de ces sorties qu’on fait en sachant ce qu’elles seront à coup sûr, de la rivière et du moment qu’on sait capables de nous procurer plus que des sensations mais du bonheur. Vous savez, à l’atelier, en classe ou au bureau, quand au creux de l’hiver le regard se perd sur un paysage morne et que l’esprit vagabonde, on se retrouve parfois transporté ailleurs, dans un temps et un lieu dont on ne se savait pas forcément imprégné… Pour moi ce sera le retour vers la vallée aux cerisiers, la méditerranéenne qui serpente entre les terrasses des potagers et les vergers, avant de retrouver dans ses goulets une garrigue frémissante de soleil qui plonge directement dans l’eau claire. Là j’ai rendez-vous de bonne heure avec des barbeaux grincheux qui se signalent en bougeant des galets sur les plages peu profondes : une nymphe qui passe dans le nuage trouble a des chances de piquer le colérique. C’est parti pour quelques minutes, attelé au merveilleux fuseau de bronze qui se rendra en roulant des yeux. Plus tard, à l’espère près des vergnes, le dos bien calé au mur qui se réchauffe, je guetterai la promenade faussement innocente d’un cabot aux lèvres clouées que la chute opportune sous les branches basses d’une imitation de coléoptère fera réagir promptement : ce sera aussi bien la fuite éperdue que la prise dédaigneuse de la bouchée… Dans un courant, la régularité d’un gobage m’alertera peut-être : une truite certainement, souvent en chemisette, rescapée du Grand Déversement Rituel… Aux heures méridiennes, à demi immergé dans l’eau encore fraîche et masqué par l’ombre odorante d’un figuier, je serai concentré et absent à la fois, retrouvant la densité poignante de ces moments enfouis où une vie se dessine, quand l’enfant au premier jour de ses vacances espérait le goujon ou le barbillon, puis l’ado s’essayait à fouetter. Je serai là, adulte à la passion sans cesse renouvelée, là-bas, dans la torpeur d’un nouvel été qui commence. Vacance.