Déjà que d'ordinaire elles s'échappent vite de leur enveloppe nymphale et ne s'attardent pas, les sulphures d'aujourd'hui sont balayées de la surface par ce vent frais. Quelques ombres se manifestent par des prises rageuses et sonores, ils s'en tiennent aux nymphes émergentes et négligent les rares subimagos s'attardant en surface. Parfois pourtant si l'un d'eux peine à s'extraire et griffe l'onde, il peut disparaitre happé silencieusement, une ligne rose pourpré dévoilant le goulu… Une occasion d'en tromper un par une tirette mais cela ne me réussit que rarement. Si difficile de créer l'illusion de la légèreté de l'insecte sautillant… Satanées rafales moquant mes tentatives de dérives. Il me faut presque changer de position à chaque essai. La mouche montée ce matin prend un poisson, en intéresse un autre puis rejoint l'accroche-mouches du gilet devant l'indifférence générale. La petite famille des ombres connaît des individualismes, les uns montent court, certains se saisissent la mouche mais beaucoup boudent! Une autre artificielle nouée, plus larve que mouche pour tenter celui qui quitte son remous plus régulièrement que ses frères. Son appétit conséquent pourrait-il le perdre, sait-on? Ma nymphe perce le film au tomber et je la devine par son simulacre de sac alaire descendant gentiment vers la station de l'affamé. Le poisson se révèle soudain, suspendu, ses nageoires déployées et sur ma tension, je le vois désormais donner des coups de tête pour se libérer de mon emprise. Un bref instant de plaisir halieutique où la beauté du monde se montre et fait tout oublier…
