Renaissance

27 mars 2008

88 - Vosges

Vologne

fanfouet

En ce matin blanchâtre du mois de Mars, je ressentais un sentiment de bien-être, un bonheur calme, une joie sereine. Ca avait du mal à éclater mais c’était bien là, chevillé au corps, vrillé au cœur. Ca faisait tellement longtemps que je l’attendais, mon ouverture. Pendant tout l’hiver j’avais monté des dizaines de mouches, imaginé leur dérive, leur comportement sur l’eau et bien sûr leur disparition dans un remous, juste sur la bordure, là, sous les branchages à l’aval du bloc de pierre qui émerge… J’avais lu et relu mes magazines, acheté du matériel, bricolé un ingénieux système d’attache pour mon épuisette, visionné des films… J’avais fantasmé sur des rivières, des photos et des poissons prometteurs. J’avais lu et relu « Pèlerinage sur la rivière Saulx » et « La vie selon Gus Orviston », cherché vainement en librairie « Les pieds dans l’eau »… Toute cette attente ne comblait pas mon impatience de retrouver la rivière mais, au contraire, la catalysait. Rien ne peut remplacer la pêche, la rivière et l’action, nom de nom ! Et là j’y étais, au bord de l’eau, pour le début de ma saison de pêche. Ah quel bonheur, les amis, quel bonheur ! Je retrouvais donc ce matin ma pêche et la rivière, les poissons et les fleurs, les arbres et les oiseaux. La douce ivresse du bord de l’eau, de la solitude, la bonne, celle qui vous fait chantonner et être en harmonie avec vous-même, avec la Nature. Je marchais lentement sur le sentier, humant l’air frais du matin, remplissant mes poumons de ces lambeaux de brume diffuse. Je m’imprégnais de tout mon saoul des senteurs de la campagne, cette odeur de bouse, ce parfum du vent qui nous rappelle à tous l’enfance à la campagne, le grand-père sur la terrasse, l’insouciance du lendemain et la liberté d’être heureux, tout simplement. Les premiers lancers ont été délicieux… Retrouver ce geste si élégant, si pur, si délicat. Dérouiller l’épaule, le coude, le poignet. Ah, ces bonheurs futiles mais ô combien indispensables pour moi ! Redécouvrir le plaisir de manipuler ce si bel objet qu’est ma canne à mouche, passer mes doigts lentement sur la poignée de liège fin, accrocher une mouche d’oreille de lièvre (mes préférées) à la pointe de nylon, sortir un peu de soie et expédier sa mouche dans cette veine d’eau si prometteuse, commencer à fouetter, lancer son cœur sur l’onde de la plénitude et son âme sur les vagues du plaisir… Je pêche à la mouche, je suis heureux ! Le premier gobage m’as un peu surpris, et j’ai ferré bien tard. C’est la reprise, il faut se réapproprier les gestes, retrouver la concentration, l’attention de tous les instants dès que la mouche est sur l’eau… J’avais été un peu distrait par la cacophonie des merles, dont la saison amoureuse bat son plein. Après avoir lancé, j’avais détourné le regard un instant dans la direction de leurs bruyants ébats, et ma mouche avait disparue à ce moment précis dans un gobage qui déjà mourait à la surface. Trop tard ! Ce n’est pas grave, je vais me refaire. Il est tellement bon, ce premier gobage. Je me souviendrais toujours du tout premier gobage que j’ai eu, quand j’ai commencé à pêcher à la mouche. Mon premier gobage, c’était un beau chevesne, sur un gros sedge en chevreuil acheté dans l’échoppe de pêche de mon enfance… L’indication sur la petite boîte de plastique ne laissait aucun doute : « spéciales chevesne », ces mouches. Et c’est avec elles que j’ai pris mes premiers poissons. Et je suis tombé irrémédiablement dans une passion dont je ne puis à présent me défaire, si bien que je suis là, dans mon bureau, à écrire mes fantasmes de pêcheur à la mouche au lieu de travailler ! Le premier gobage, c’est comme la première gorgée de bière, comme la première fois qu’on fait l’amour, comme le premier accord de guitare, comme le premier jour des vacances d’été. C’est comme le premier jour de sixième, comme la première respiration d’un nouveau-né ou comme un mariage. Le premier gobage, c’est l’espoir d’en voir des milliers d’autres, de pêcher sur les plus belles rivières, de leurrer les plus gros poissons. Ca marque à vie, le premier gobage. C’est comme ça. Une trace indélébile dans une vie de pêcheur, symbole d’une nouvelle approche de la pêche, de la Nature et de la vie. J’avais donc raté mon premier gobage de la saison… Devais-je y voir un signe ? Non non, ne nous laissons pas aller au pessimisme, quand même ! Dix minutes plus tard, je remettais ma première truite de l’année à l’eau. Oh, elle n’était pas bien grosse, mais elle m’a apporté un bonheur inversement proportionnel à sa modeste taille. Tout en la mettant en garde contre les autres pêcheurs qui ne sont pas tous aussi gentils que moi, les oiseaux d’eau piscivores, les couleuvres et les autres dangers aériens ou aquatiques, je laissais glisser son doux corps cuivré dans ma main, la laissant repartir dans son milieu, dans sa cachette, dans son monde de truite. Le soleil au zénith réchauffait à présent les flancs boisés de nos bonnes vieilles montagnes vosgiennes, sages gardiennes de ce territoire encore sauvage et préservé. Je contemplais alors le réveil de la Nature. Le printemps l’avait tirée du lit, aujourd’hui. Sous un frêne bourgeonné, deux mésanges se faisaient la cour. La sève montait dans les troncs et s’éparpillaient dans les branches, jusqu’à atteindre ces bourgeons qui ne demandaient qu’à s’ouvrir pour voir et participer à la beauté du monde. Un rossignol lançait une trille quelque part, les ombres s’agitaient dans les courants secondaires de la rivière, occupés qu’ils étaient à se reproduire. Je les laissaient tranquilles et allais voir derrière cette souche. Tiens, une belette qui s’enfuit dans les fourrés. Elle doit aller chercher le repas de ses petits qui l’attendent en piaillant, au chaud dans leur nid douillet. J’entendais aussi le bruit du coucou et observais les pervenches et les jonquilles qui pointaient le bout de leurs pétales. Elles s’ouvraient au monde, découvrant leurs frêles pistils dont les abeilles allaient bientôt transporter le pollen qui les recouvrent, et ainsi pérenniser leurs espèces. Assis dans l’herbe encore humide, je me repaissais de ce spectacle, et aussi d’un jambon du Dévoluy dont je coupais des tranches délicieusement fines et salées avec mon fidèle opinel. J’avais pour seule richesse mon matériel et un pique-nique de luxe. A grand moment, grande bouffe ! Saucisson, pain de campagne, pâté de tête, et ce fameux jambon, que ma maman m’avais gentiment envoyé la semaine dernière… le tout arrosé d’une bonne bière brune, fraîche et pétillante, un peu amère, tellement bonne ! En parlant de bouffe, je pensais à un truc : ne trouvez-vous pas qu’une bonne partie de pêche, c’est comme une bonne recette de cuisine ? Les ingrédients doivent être sélectionnés avec soin, selon ce que l’on aime, selon leurs saveurs, leurs goûts, leurs formes. Choisir une rivière pour y pêcher à la mouche, c’est pareil. Le matériel utilisé doit être de bonne qualité, le plus important étant qu’on l’aime et qu’on sache bien s’en servir. On sait comment cuire des girolles ou des cèpes comme on sait approcher et pêcher telle ou telle rivière. On sait manipuler le fouet, dans la cuisine comme sur les berges… On soigne la préparation, on goûte, on a hâte de voir ce que ça va donner. Mais ce qu’on adore, c’est la dégustation. On se délecte, on en profite, on déguste, on apprécie le moment à sa juste valeur ! C’est un mets de choix, une bonne partie de pêche. Donc, je me nourrissais de cet excellent après midi sur les berges de la Moselle. La vallée était belle, et j’avais pris trois petites truites. Un bel ombre, aussi, qui s’était jeté sur ma mouche sèche en croupion de canard. Je l’ai très délicatement décroché, avec le plus grand soin et sans le sortir de l’eau, et je lui ai rendu sa liberté afin qu’il puisse se reproduire et nous donner une prolifique et saine progéniture. J’avais profité du spectacle du printemps, du bal des oiseaux, de la danse des fleurs et de la valse du soleil. J’ai esquissé un slow avec ma rivière. J’avais plongé mes mains dans son eau froide et m’en étais imprégné le visage. J’avais salué les vaches, les insectes et les poissons. J’ai pris mon pied, et je me suis laissé tombé dans le tapis herbeux de la joie… Je dois maintenant rentrer affronter l’inévitable réalité du quotidien… Mais je prends ça avec bonheur, car je suis rené. Ah non, vous n’avez pas compris… Je ne m’appelle pas René. Mais non, bien sûr, je ne piste pas non plus Mr Fallet, qu’allez vous croire ? Non non, si je suis rené, ça veut dire que je suis né à nouveau aujourd’hui. Ça veut dire que retourner à la pêche après ces longs mois d’attente me fait renaître. Ça veut dire que je me suis rempli de vie et d’espoir tel un nourrisson. Je veux être le fils de la rivière, le frère du vent et l’ami du ciel. Et quand j’aurai un coup de blues, j’irai disperser par mes lancers de soie les notes noires de la mélancolie au fil de l’eau scintillante, avec pour compagnie ma famille Nature et l’espoir qu’un poisson se lèvera…

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