Un pas de trop.

17 juillet 2013

64 - Pyrénées-Atlantiques

Nive

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Dès le début du débriefing de ce coup du soir avec Jean-Yves, le diagnostic a été d'une limpidité rare. Il faut dire que nous venions de prendre cher : un banc entier de truites a gobé pendant trois quart d'heure sous notre nez et nous n'avons pas fait un poisson… L'addition est salée. Le constat est sans appel : – mauvais positionnement du touriste de passage – tir dans le tas sans discernement des particularités de chaque poisson (défaut contracté sur les ombres) – pas la bonne mouche d'où des ferrages dans le vide. Ce banc de truites comporte entre 8 et 10 poissons. Il est dans une position relativement classique pour les pyrénées dans une arrivée de courant, à l'endroit le plus inaccessible pour le pêcheur. Rive gauche la falaise, rive droite un profond qui laisse au moucheur deux mètres entre son dos et la berge, à l'aval la fosse et à l'amont l'arrivée du courant. Seules trois langues de rochers en rive gauche en amont des truites permettraient de pêcher confortablement. Mais pour y accéder… En équilibre sur un petit rebord de la falaise, j'ai tout le loisir d'observer le manège des truites sous mes pieds. En fin de banc, sous 5 centimètres d'eau, deux ou trois petits clowns naviguent de manière incessante pour gober tout ce qui passe à proximité d'elles. Le rythme des ronds est impressionnant. Plus en amont, dans les lames de rochers, des poissons plus postés bien que mobiles gobent moins rageusement mais de manière tout aussi déterminée. Au ras de la berge, un poisson posté prend tout ce qui passe à sa portée. Et pour finir, un dernier clown de taille modeste tient la tête du banc. Dans le lot, deux poissons se distinguent clairement par la taille de leurs gobages. Le premier est celui du bord qui brasse beaucoup d'eau silencieusement et le deuxième est au beau milieu du banc entre le premier et le deuxième banc de roche. Canne dans la bouche, une main accrochée à un buis, l'autre dans une anfractuosité de la roche, j'arrive à gagner une petite corniche qui sert de crottier à une genette d'où j'espère pouvoir lancer en direction des truites. Mais toutes mes tentatives seront vaines les truites ayant décidé soit de changer de veine, soit de remonter au delà de mes mouches, sans parler de cette branche avide de mouche qui m'agrippe à chaque fois que je force mon revers. Bilan, pas une seule fois ma mouche ne passera sur ces truites qui naviguent bien visibles juste sous la surface. En face de moi, Jean-Yves arrive tant bien que mal en roulé à lancer ses mouches dans le banc mais il ne provoque que des montées rapides, des refus et ferre dans le vide. Après une demi-heure dans la falaise, je décide d'essayer de gagner les bancs de roches en amont du poste d'où je pourrais pêcher sans problème. Le seul soucis est l'infranchissable qui me sépare du poste… J'entreprends donc de sortir de ma falaise et de remonter le talus abrupt qui débouche sur l'inconnu pour moi. En fait, je me trouve sous une route qui surplombe la nive d'une trentaine de mètre. Et pour la construire, les engins ont simplement poussé le remblai qui est maintenant recouvert de ronces entremêlées de branches mortes. Une vraie joyeuseté pour les waders qui me fera changer d'itinéraire par deux fois. En nage, j'arrive sur la route. La luminosité diminue. Mon temps est compté. Il faut que je fasse vite. Je me rends au dessus du poste mais là encore, il s'agit de remblai poussé au bull. Ma descente s'opère plus en glissant qu'en marchant. Chaque pas me fait descendre plusieurs mètres au milieu des éboulis et les quelques châtaigniers qui ont poussé dans la pente me sont bien utiles pour m'accrocher aux branches. J'arrive dans l'eau pour assister aux derniers gobages de la soirée. Par contre, le défilé des ailes sur le poste est impressionnant. LA solution me saute aux yeux mais il est trop tard. Jean-Yves partage mes conclusions : la mouche à Christophe, une connaissance commune est LA mouche de la situation. Dès le lendemain au petit déjeuner dans le camping, au milieu des tartines de mes filles, je plonge dans mes boites et découvre qu'il me reste pas deux mais un seul et unique exemplaire de cette fameuse mouche. Manque de chance, elle est montée sur un hameçon fin de fer qui s'ouvre facilement. Je sais qu'avec elle je ne ramènerai pas un poisson mais qu'importe. Un concours de circonstances malheureux fait que le coup du soir que je devais faire avec Laka est compromis. Et de postes en postes en remontant la vallée, je me retrouve à passer à coté du poste de la veille. Je saute de la voiture avec les jumelles et je jette un oeil sous la falaise. Ca gobe à fond et une fois n'est pas coutume, je décide de déroger à la règle d'or du choix des postes qui veut qu'on ne revienne jamais pêcher deux jours de suite au même endroit. Je traverse la rivière, remonte sur la route et entame la descente infernale. Je retrouve les passages de la veille. Tout en approchant du poste, je constate que la structure du banc est en tout point identique à celle de la veille si ce n'est que la truite de la bordure n'est pas encore ne poste. En revanche, la grosse du milieu, objet de toutes mes convoitises est bien là, juste derrière la petite qui fait le clown en tête de banc. Ah, la petite, elle est où la petite? Merde, en approchant du poste, que dis-je, en rampant pour gagner le poste, j'ai fait un pas de trop, le pas de trop. Et la sanction a été immédiate : plus aucun poisson du banc qui s'étire sur environ 30 m ne gobe. Délicatement, je recule mais intérieurement, je sais que c'est mort. Tant que je serai là, les truites de la tête du banc seront calées. Je peux dire adieux à une des deux grosses. Assis sur le bord, l'attente commence. Le défilé de Serratelles qui s'intensifie me laisse un bon espoir de revoir des ronds même si cela fait demi-heure que le dernier poisson a gobé. Je dois bien avoir dans mes boites une demi-douzaine de modèles différents qui séduiraient les truites installées sur ces insectes. Mais aucune d'elles n'a la qualité essentielle pour réussir dans cette situation : la visibilité. Montée avec des plumes gris claires, elle se détachera parfaitement sur cette surface sombre. Le mélange des textures attirera l'oeil des truites de loin, tandis que la flottaison haute leur fera lever le nez bien haut. Si seulement, j'avais une occasion de lancer au devant d'une truite. Au bout de 45 minutes, sans surprise, les premières à ressortir seront les clowns de la queue du banc. J'attendrai encore 15 minutes pour voir le milieu du banc s'activer comme la truite de la bordure commencer à faire ces bulles. C'est celle là que je veux. Elle gobe vraiment en bordure, dans un petit courant très lent, avec un rythme d'ordre trois. Plusieurs fois, je passerai sur son poste sans succès faute d'être pile poil dans le rythme. Une fois, elle prendra un insecte à quelques centimètres de ma mouche mais comme cette dernière est bien visible, je ne ferrerai pas. De plus, je sais que lorsqu'elle prendra, je verrai distinctement le blanc de son palais. Je suis plein amont et il en va ainsi avec la mouche à Christophe. Puis, une dérive dans le bon timing me permettra de voir le blanc de la bouche. Le ferrage retardé provoquera un remous en surface suivi d'une fuite lourde dans la veine centrale. J'ai compris que c'était fini pour moi lorsque j'ai senti la truite se frotter le museau au milieu des roches. Comme prévu, mon hameçon est revenu ouvert mais mon piège avait fonctionné. Cela a suffit à mon bonheur immédiat. Par chance, deux poissons du milieu du banc se sont remis à gober presque aussitôt. J'ai choisi celui qui me paraissait le plus joli et j'ai compté. Aucun rythme apparent, poisson mobile, sans doute juste sous la surface : il faudra privilégier la précision au timing. J'ai donc attendu un gobage pour poser aussitôt juste en amont et la petite mouche à Christophe redressée à la pince a disparu. Contre toute attente, au lieu de partir plein bouillon, la truite a remonté le bord à toute allure. Un poil plus vite que ma capacité à rentrer la soie. Au moment de la reprise de contact, la truite est sorti de l'eau pour monter haut, très haut et m'exploser le bas de ligne entre la pointe et le brin juste au dessus. Le truc qui n'arrive jamais sauf sur les Nives. Ces truites sont vraiment incroyables. Elles font vraiment des trucs de malade. Dans ces conditions estivales, il faut vraiment se mettre en quatre pour espérer en piquer une et une fois au bout, il vaut mieux avoir de bons hameçons et de bons noeuds. Mes vacances au pays basque sont désormais terminées, mais j'ai hâte d'y retourner pour régler un petit contentieux avec ces truites furieuses. Et promis, je ne ferai pas le pas de trop cette fois ci. Fred

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