Un ribolov en langage bosniaque est un pêcheur.
La Bosnie, étrange contrée que cette région des Balkans, en guerre il y a peu et divisée en deux parties : la Republika Serbzka et la fédération de Bosnie-Herzegovine. La Bosnie, où, par endroit, on peut entendre résonner l’appel du mueslim tout en étant au beau milieu de la rivière, canne à la main.
L’accueil chaleureux et l’enthousiasme de Milan, capitaine de l’équipe nationale Croate de pêche à la mouche, nous laisse présager un agréable séjour malgré la température caniculaire en ce début septembre. Il fait 38° et la sécheresse sévit depuis trois mois, la pêche ne va pas être facile prévient le guide, mais il y a du poisson.
Les quatre heures qui séparent Zagreb de notre zone de pêche, nous permettent de faire plus ample connaissance, de s’informer sur les rivières et méthodes de pêche. Le thermomètre grimpe jusqu’à 39° Celsius.
Patrice et moi avons choisi une formule « full board » avec guide, proposée par le très compétent Herlé Hamon de l’agence DHD Laïka. Cela s’avère être une bonne solution à cause de la durée limitée du séjour (8 jours), du risque potentiel dans un pays récemment sorti de la guerre et du barrage de la langue car, comme vous vous en doutez, le serbo-croate ne s’apprend pas en deux jours. Je devrai toutefois corriger le terme serbo-croate ; en effet, depuis l’éclatement de l’ex-Yougoslavie chaque pays à sa propre langue, même si à l’oral ils se comprennent parfaitement, les Serbes ont adopté l’alphabet cyrillique contre l’alphabet latin pour les Bosniaques de la fédération ou encore les Croates.
Donc Milan, notre guide, avec qui nous communiquons en anglais se révèle être un atout majeur pour les raisons évoquées ci-dessus mais aussi il nous évite une perte de temps considérable, des tracas pour les licences ainsi que les limites des parcours mais surtout nous permet de nous immerger dans l’histoire tragique de cette fascinante région.
LA RIBNIK
La Ribnik est une petite rivière de moins d’une dizaine de kms de long, elle fait en moyenne 20 à 25 métres de large, ses eaux sont cristallines et envahies d’algues que l’étiage et la chaleur ont favorisées. Heureusement, la proximité des sources de type résurgences lui maintient une température constante autour de 8°. La rivière est intégralement classée en « catch and release », une seule mouche est tolérée, le bas de ligne ne doit pas comporter de plomb additionnel. La densité piscicole est phénoménale pourtant la pêche n’est pas facile pour autant. La saison écoulée, le niveau particulièrement bas de la rivière ont rendu les poissons très méfiants. Soie naturelle, bas de ligne en 10 centièmes et hameçons numéros 18 ou 20 sont de rigueur.
L’anecdote la plus frappante de notre séjour sur La Ribnik se déroule au restaurant situé sur les bords du cours d’eau, les fenêtres de la salle à manger surplombant un pool bien peuplé en ombres et truites de belle taille.
Ces truites que nous avons un mal fou à faire monter sur le matériel décrit ci-dessus qui pourtant se jettent comme des mortes de faim sur les énormes boulettes de pain que leur lance le serveur.
LA PLIVA
Superbe Pliva, qui a payé un lourd tribut à la guerre, les soldats avaient faim, les méthodes employées n’avaient rien d’orthodoxe, si je peux m’exprimer ainsi. Cependant, ce joyau de rivière possède une partie assez rapide sur l’amont de son parcours, puis devient rapidement un splendide « chalk stream ».
Mis à part quelques cas de braconnage, toutes les conditions sont réunies pour que ce site devienne un haut lieu de la pêche à la mouche en Europe. Si dans la matinée le parcours amont nous a rapporté quelques prises, nous nous cassons les dents en beauté sur la partie aval, où les conditions de pêche semblent encore plus difficiles que sur certains parcours de la Loue en plein mois d’août. Selon les riverains, cela fait trois ou quatre jours que l’activité piscicole est quasi nulle.
L’UNA
Nous quittons la Républika Serbzka pour une zone frontalière avec la Croatie et notamment une vallée, occupée par les Turcs pendant 4 siècles, qui a conservé une forte culture musulmane, les mosquées en sont le symbole le plus marquant.
Nous nous installons dans l ‘impeccable « pansion Saraj » où nous sommes reçus comme des princes. Après une petite collation, les waders sont enfilés pour une « longue marche » de deux cent mètres en plein cœur du village. Nous faisons alors connaissance avec l’Una. Ici aussi, la sécheresse laisse des traces fort heureusement le cours d’eau est important et que ce soit en sèche ou en nymphe les prises se succèdent à un rythme régulier. La température a légèrement diminué par rapport aux premiers jours, les poissons semblent plus actifs, nous en profitons pleinement. Le chant du Mueslim nous surprend soudain apportant une sensation pittoresque à la scène. La partie de pêche est interrompue par un copieux et excellent déjeuner, nos hôtes sont aux petits soins. Ce coin ressemble au paradis du moucheur.
L’UNAC
L’Unac est un affluent de l’Una ; suivant la berge où l’on se trouve, on pêche soit en Bosnie, soit en Croatie. Au dessus du pont de Martin Brod , les centaines de rainbows échappées de la pisciculture n’en ont cure, elles se jettent goulûment sur nos nymphes sans demander nos passeports. Il faut les calmer un peu avant de pouvoir présenter nos artificielles à des cibles plus intéressantes. C’est ainsi qu’en faisant dériver une belle imitation dans les tons beige, le long d’un gros rocher immergé, je ferre un énorme poisson que je prend tout d’abord pour une grosse arc-en-ciel. Le monstre me promène un bon quart d’heure avec mon fluorocarbone en 0,127 mais le pool est dégagé, je peux le laisser se fatiguer. Il arrive enfin à 50 cm de l’épuisette que lui présente Milan. J’avais pourtant prévu la réaction de la bête, malgré tout la soie va se ficher, je ne sais comment, dans l’anneau qui supporte ce « p… de b….. de coupe fil » et je perds du même coup, le coupe fil et le poisson trophée. Milan en est plus malade que moi, il l’a vu de près : elle faisait entre 70 et 80 cm me dit-il, m’assurant que sans être un record c’est une des plus belles farios qu’il ait jamais vu, sa couleur particulièrement claire étant due au substrat de la rivière.
Je me lasse vite des assauts répétés des petites arcs. L’après midi sera consacrée à la partie basse du parcours où elles sont moins nombreuses. Je peux enfin m’expliquer, sous une pluie devenue battante, avec des ombres magnifiques.
La pluie va faire du bien au réseau hydrographique, les nuages ont l’air de vouloir s’installer durablement. Vingt degrés d’écart par rapport au début de la semaine, ça calme un peu, sauf les poissons qui semblent retrouver la forme.
LA GACKA
Pour le dernier jour, Milan nous propose d’aller faire un tour sur la Gacka. Cela n’était pas prévu au programme cependant sa relative proximité, sa situation intermédiaire qui nous rapproche de l’aéroport de Zagreb, nous incitent à aller saluer cette mythique rivière. Le temps est maussade, le vent assez fort, le thermomètre flirte avec les 8 ou 9 degrés. Eu égard aux conditions atmosphériques, nous ne nous pressons pas. Nous armons lentement nos cannes devant un cours d’eau qui paraît désert. Il est proche de midi, soudain quelques timides éphémères commencent à dériver, suivent quelques gobages épars. Tout cela s’intensifie peu à peu, si ce n’était ce foutu vent qui perturbe la plupart de nos présentations nous ferions un carnage. Sur les conseils de Thierry Millot qui a fait cent kilomètres pour venir saluer son ami Milan, nous sautons le déjeuner profitant de l’éclosion de baétidés qui va durer jusqu’à dix sept heures environ. Certes, les plus gros poissons, sur la Gacka, se prennent en nymphe mais cela aurait été un crime de ne pas saisir l’opportunité de pêcher en surface.
Alors, d’aucuns diront qu’il y a beaucoup de poissons de bassine sur la Gacka ? C’est un peu vrai ! Cependant pour les plus persévérants, elle sait aussi récompenser par de splendides truites de souche à la robe incomparable.
Notre périple arrive à son terme, laissant un goût de revenez-y. Il est clair que si une volonté de gestion se dégage pour la pêche touristique, il y a un potentiel énorme à développer en Bosnie. Reste à trouver des compromis avec les pêcheurs locaux, la chose n’est pas aisée, y sommes nous souvent parvenus dans l’hexagone ?
Je voudrais faire un peu de publicité à un extraordinaire monteur de mouche qui officie dans une cabane sur les bords de la Ribnik, pour quelqu’un comme moi qui ne fait pas trop confiance aux mouches du commerce (ne me faîtes pas dire qu’il n’y a pas de bon monteurs…), j’ai trouvé là, des artificielles efficaces et bon marché ce qui ne gâte rien.
Enfin, je vais boire un petit coup de Slivovica (alcool de prune) à votre santé, un produit local de renommée mondiale. Bien entendu à consommer avec modération …
Didier Rodriguez