Introduction : J’avais envie de Massif Central, ça ne s’explique pas. Envie de landes battues par le vent, envie de cette terre âpre et rude, envie de ruisseaux nonchalants qui, lentement, paresseusement, étendent leurs méandres à travers les hauts plateaux. Deux semaines que je cherchais un lieu pour leurrer mes dernières truites, ces petites diablesses noires et ors qui bondissent une fois piquées et ne se rendent qu’après avoir usé de toute la panoplie des sauts et cabrioles. Je décide donc de me rendre en Gévaudan, sur les rondeurs de la Margeride. Pour des raisons de facilité et de réciprocité, je délaisse la Lozère pour me cantonner à la partie Haute Loire. Je souhaitais pêcher les ruisseaux des hauts plateaux et terminer en coup du soir sur l’Allier. Premier acte : Jeudi soir,18h30, je finis le travail, déjà tout à la route qui m’amènera vers les contrées sauvages que je convoite. La bande d’asphalte se déploie pendant que la lumière décline, c’est par une nuit d’encre que je pénètre sur les hautes terres. Petit arrêt à Monistrol sur Allier, il tombe une bruine fine sur le village, l’air est doux, mélange d’odeur de fougères et de feu de bois. Plaisir d’entendre la chanson de la végétation qui goutte sous cette pluie légère comme une caresse. En contrebas, le bruit de la rivière me parvient, puis finit, presque obsédant, par occuper tout l’espace sonore. Je me dis que demain, peut être ? Deuxième acte : Je quitte le gîte d’étape à 6h du matin, c’est tellement tôt qu’il fait encore nuit noire et qu’aucune boulangerie n’est ouverte. Je parcours Saugues, là où la bête a été tuée, de long en large, dédale de petites rues entre d’austères maisons de pierre. Petit déjeuner avalé je me hâte lentement au gré des routes toutes en boucles vers un petit affluent de l’Allier, lui aussi tout en lacets. En aval, une réserve, puis un no kill, mais je ne savais pas qu’il fallait une carte. Je pêche donc l’amont. Plaisir simple des lancers courts au ras des berges. Premier gloup, loupé, deuxième gloup, loupé… Ca mord, mais j’ai les réflexes émoussés. Troisème gloup, à l’autre bout de la ligne ça vibre et ça zigzague au creux des eaux couleur thé. Mais c’est un chevesne ! Bagarreur en diable mais chevesne tout de même, à près de 1200 m d’altitude et dans une eau glacée. Je prendrais trois de ces compères, toujours plus gros au fur et à mesure que je remonte le cours d’eau et particulièrement pêchus. Et seulement trois truitelles, deux décrochées, une à la main. Ces dernières bondissent de plus d’un demi mètre hors de l’eau, spectacle étonnant. Passé midi, je suis las de voir ce ruisseau envahi par les blancs. Par ailleurs les croupes douces des hauteurs alentours n’arrivent plus à contenir le vent qui rend mes posers vraiment hasardeux. Je pars donc vers la vallée de l’Allier, pour tout dire un peu déçu de cette matinée. Troisième acte : Passé les difficultés d’accès à la rivière, me voici au bord de l’Allier, rivière superbe, paradis potentiel pour les pêcheurs à la mouche grâce à la diversité des coups et des configurations de la rive et de la rivière. La réalité semble cependant tout autre. Passé par un camping pour me rendre au bord de l’eau je croise un sympathique retraité moucheur, qui n’a pris qu’une truite en deux semaines ! J’arpente pourtant une rivière parmi les plus belles qu’il m’est été donné de pêcher. Malgré la présence continue mais clairsemée d’insectes sur l’eau, très peu d’activité. Je réalise ma plus belle dérive de l’année sur la rive d’en face et sous les arbres pour prendre… un spirlin ! Je remonte toujours, et croise un gars du pays qui promène son chien, accessoirement pêcheur à la mouche désabusé de l’Allier. Il me parle alors des paniers d’antan, de la rivière avant le barrage de Naussac et son alevinage en perches. Difficile de distinguer le vrai du fantasmé, toujours est il qu’il semble me parler d’une rivière à l’autre bout de la planète. Eclosions massives, truites présente en nombre et de belles tailles, ombres dans les courants, pierres couvertes de portes bois. Et la pêche à la mouche décrite comme une des meilleures techniques pour réaliser de lourds paniers. Un peu endolori par cet énoncé, ne sachant trop s’il fallait en vouloir au barrage ou aux pêcheurs de paniers miracles, certainement au deux, je me positionne dans l’attente du coup du soir. Le long de la rive, une jolie truite saute plus qu’elle ne gobe, je m’acharne dessus sans résultat jusqu’à ce que le froid tombe d’un coup sur la vallée et me glace les os. Je m’en retourne désabusé. Proche de rentrer je tente mes derniers lancers sur un gobage épisodique. Rien n’y fait, j’ai peine à croire que la saison va finir ainsi, sous les cris lugubres d’un hibou perché sur le coteau en face, sans une belle truite. En rangeant mes affaires, le brame du cerf retentit dans les bois alentours et vient m’annoncer que l’automne désormais s’avance. Une autre saison commence, je l’espère…