Afin de préparer les lois françaises au défi de la Directive Cadre Européenne sur l’Eau, le gouvernement français prépare une loi sur l’eau. Cela pourrait être une bonne chose lorsqu’on connaît les problèmes de déficit et de qualité que connaissent la plupart de nos cours d’eau.
Toutefois, lorsqu’on se penche un peu sur le projet fraîchement amendé par le Sénat, on découvre une loi taillée sur mesure pour les producteurs d’électricité et les agriculteurs. Et s’il fallait se dépêcher d’aménager un peu plus avant que la DCE ne nous en empêche ?
Parmi toutes les mesures qui risquent de contribuer un peu plus à la détérioration de nos cours d’eau, voici une petite compilation des meilleures ventes au hit parades des aménageurs :
– fin du débit réservé fixé au 1/10 ème du module à l’aval des barrages. On passe à une notion de régime réservé, avec une valeur globale qui reste au 1/10 ème mais un débit plancher qui passe au 1/20 ème. Il est même prévu qu’en cas d’étiage sévère on pourra réviser cette valeur à la baisse. Tout ceci avec comme objectif de mieux rentabiliser l’eau des débits réservés pour produire plus d’énergie propre.
Dans la réalité que va-t-il se passer ? Les cours d’eau vont être privé d’eau aux moments où ils en ont le plus besoin. En période de crue, les exploitants laisseront transiter de l’eau dans la portion en débit réservé, au besoin pour se débarrasser de boues encombrantes et le reste de l’année on aura le débit plancher du 1/20 ème du module. Et combien même il ferait sec, on abaisserait encore cette valeur. Lorsqu’on connaît l’importance du débit d’étiage estival pour le maintien de la richesse des écosystèmes, il y a de quoi s’inquiéter.
Une étude sur les débits réservés a en effet clairement montré que le facteur limitant la population de truites adultes est le plus faible débit estival observé consécutivement sur une période de trente jours. On peut donc, en autorisant à moins turbiner l’été, compromettre tous les efforts de gestion engagés le restant de l’année. Quel joli cadeau fait aux exploitants de barrages dont la plupart n’ont toujours pas fait passé le débit réservé au 1/10 ème du module, bénéficiant d’une dérogation pour rester au 1/40 ème si leur ouvrage est antérieur à 1984.
D’ailleurs, la loi actuelle n’empêche nullement la mise en place d’un régime réservé dans lequel les débits seraient variables au cours de l’année pour s’adapter aux besoins de l’écosystème tout en restant supérieur au 1/10 ème du module. La loi prévoit même qu’en cas d’étiage, le débit réservé peut être inférieur au 1/10 ème si le débit entrant est inférieur. Alors, pourquoi changer ? Pour pouvoir assécher un peu plus nos rivières en dehors des étiages naturels ?
Autre cadeau fait aux exploitants : il sera toujours interdit de détruire les zones de frayères ou d’alimentation des poissons sauf si cela découle d’un fonctionnement autorisé. Avec un tel régime, les frayères à sec découvertes sur la Maronne ou la Dordogne tous les hivers, comme tous les alevins agonisants dans les flaques peu de temps après leur émergence suite à une éclusée ou encore les poissons étouffés par les boues des opérations « transparences » auront été « légalement » détruits et les auteurs de ces faits ne pourront plus être poursuivi. Lorsqu’on connait les cahiers des charges des barrages mis en place par le ministère de l’industrie pour optimiser le niveau de production d’électricité sans beaucoup de préoccupations environnementales on peut être réservé sur le résultat.
Cette frayère de la Maronne était-elle protégée par le cahier des charges?
– fin du classement de rivière réservée exemptée de nouveaux barrages. La loi de 1919 qui régit la production d’énergie hydroélectrique avait accordé en échange de l’aménagement de nos rivières, la promesse de virginité à 10 % des cours d’eau. Ainsi, une liste de rivière sur laquelle aucun nouvel aménagement ne devait être installée a été édictée. La loi la supprime, laissant le champ libre aux exploitants de microcentrales pour installer de nouvelles et handicapantes digues. La gestion de la nouvelle liste sera décentralisée, les nouvelles installations ne devront pas empêcher le très bon état écologique des cours d’eau ni pénaliser la migration des poissons vivants alternativement en eau douce et en eau salée.
Mais pourquoi uniquement le TRES bon état écologique. La DCE ne stipule-t-elle pas que les états membres ne doivent pas faire des aménagements qui empêcheraient d’atteindre simplement le BON état écologique ? Nos hommes politiques, en ajoutant un simple mot ouvrent donc la voie à l’aménagement d’un grand nombre de cours d’eau en bon état qui étaient jusque là préservés de tout aménagement hydroélectrique. Le prétexte est simple : produire de l’énergie renouvelable pour atteindre les objectifs français en ce domaine et éviter la production de gaz à effet de serre. Sacrifier l’eau pour sauver l’air voilà qui est un leurre dont le lobby des propriétaires de microcentrales s’est empressé de se saisir.
Et pourquoi uniquement les migrateurs vivant alternativement en eau douce et en eau salée ? Pourquoi laisser sur la touche les dernières souches de truites sauvages et les autres poissons d’eau douce qui font de courtes migrations pour effectuer leur cycle de reproduction ? L’étau se resserre sur les cours d’eau d’altitude coupée de leur population de migrateurs amphihalins par des ouvrages infranchissables.
Il manque vraiment beaucoup d’eau sur cette frayère. Le DR est pourtant respecté.
– aucune contrainte supplémentaire (taxe) n’est prévue pour les épandages de nitrates. Le principe pollueur – payeur reste donc au placard. La France qui paye actuellement des amendes en raison de son laxisme vis-à-vis des pollutions en Bretagne persiste et signe en laissant les principaux pollueurs faire comme bon leur semble.
Lorsque le débit réservé est trop faible…
– aucun rééquilibrage non plus entre le prix de l’eau payé par les consommateurs qui financent la majorité des redevances et les agriculteurs qui consomment la majeure partie de la ressource en irriguant.
La nouvelle loi sur l’eau va-t-elle les sauver?
Ce n’est pas en faisant des cadeaux aux producteurs d’hydroélectricité et aux agriculteurs qui sont responsables de la majeure partie de la pollution aux nitrates / pesticides dont souffrent nos rivières et nos nappes que l’état de nos cours d’eau va s’améliorer. Les microcentrales, quelle que soit leur taille perturbent grandement les écosystèmes aquatiques. Ils constituent des obstacles à la migration des poissons, des sédiments, ils modifient la morphologie des cours d’eau comme le régime des eaux pour contribuer à une part infime de la production électrique.
Ne laissons pas massacrer les dernières sections préservées (10 % du total) par l’installation de nouveaux ouvrages. Ne tolérons pas la suppression de la notion de débit réservée au 1/10 ème du module, acquis fondamental des lois précédentes qui n’a même pas réussi à maintenir la qualité de nos cours d’eau. Exigeons l’application du principe pollueur – payeur, la mise en place d’un système de redevances équitablement réparties entre les différentes catégories d’usagers et la mise en place d’incitations financières au moindre emplois des produits phytosanitaires par la profession agricole.
Mobilisons nous contre ce projet de loi destructeur qui doit passer sur les bancs de l’assemblée nationale en juin en allant voir nos députés pour leur signifier notre mécontentement.
Une autre occasion de dénoncer cette politique nous est donnée cet été à l’occasion de la consultation du public sur la DCE. Le recueil des observations se fera en mairie ou en préfecture. Il est primordial de participer. Sinon, nos rivières risquent fort de se retrouver au régime. Ce mot, au cœur de la propagande actuelle d’EDF sera bien le plus approprié pour décrire l’état de nos rivières. Mais se sera un régime sec avec un cocktail de pesticides et de nitrates payé par les consommateurs. Et tout cela finira bien par se retrouver un jour dans la mer. Les ramasseurs de marées vertes sur nos plages, les producteurs de maïs ou d’électricité semblent avoir de bien beaux jours devant eux.