Gimån – Ombres géants

18 juin 2006

Suède

Gimån

Pierrick

Avoir pêcher la Gimån sur le parcours de Lars & Jennifer Olsson en Laponie Suédoise me condamnerait presque à la déception sur d’autres parcours à ombres si je ne me laissais pas gagner, à chaque fois, par l’émerveillement que me procure la pêche à la mouche. En effet, ce formidable parcours no kill est habité par les plus gros ombres qu’il m’a été permit de traquer. La Gimån est une grande rivière aux courants profonds et puissants. Abordable en wading sur ce parcours, elle demande toutefois de la vigilance car son substrat est tourmenté et miné par de nombreux trous d’eau cernés par quelques zones praticables. Les eaux sont pures. Les roches granitiques offrent une bonne prise. D’énormes blocs accélèrent ça et là les courants et créent en aval des gours profonds habités par les plus gros poissons. Le parcours est bordé d’une riche végétation forestière typique de ces contrées nordiques. Les castors laissent de nombreuses traces de leur passage. La faune sauvage, invisible le jour, est néanmoins très présente. Il ne doit pas être rare de pêcher le soir en compagnie d’un élan qui traverserait la rivière… ****** J’ai pu pratiquer ce parcours essentiellement en mouche sèche malgrés les conditions délicates de la première journée : vent puissant et eaux encore un peu haute. Un bas de ligne monté avec une pointe en 16/100° est préconisé en raison de la taille et de la combativité exceptionnelle des poissons. Toutefois, en raison de refus sur cette taille de pointe, j’ai pratiqué avec un bas de ligne de 6 m terminé en 12/100°. J’ai provisoirement rangé les Klinkhammers et les grandes mouches en poils de cervidés pour pratiquer une pêche fine « à la française » sur les plus gros spécimens recherchés spécifiquement. Les deux journées consacrées à ce parcours ont étés riches en péripéties et captures aussi, est-il délicat d’en faire un compte rendu qui ne ferait que survoler des moments particulièrement exaltants. J’ai donc choisi de relater le dernier coup de ligne qui fut aussi le plus beau et le plus intense de ceux qui m’ont pu être offerts lors de ce séjour. ****** La seconde journée sur le no kill bénéficiait de conditions climatiques clémentes et agréables. Après avoir capturé plusieurs beaux poissons en aval du parcours, je décidais de voir s’il y avait encore plus gros. La veille, j’avais mesuré un des ombres avant de le remettre à l’eau. A plat, il atteignait 56 cm… Je me contentais désormais de photographier les plus gros poissons capturés dont la taille devait être comprise entre 50 et 55 cm. Dans la poursuite de cette quête d’un poisson trophée, je décidais de passer la dernière partie de la soirée à l’amont du parcours. Cette zone est constituée de puissants rapides avec quelques fenêtres de vue sur zone profonde. Une de ces fenêtres semblait particulièrement propice à l’accueil d’un grand ombre. Elle formait comme un vaste œil dans la tourmente de la rivière. J’accédais au poste sur la rive adverse après avoir traversé le pont. Toutefois cette poche d’eau restait éloignée de la rive et, c’est dans un équilibre très précaire, armé d’une canne, que je parvenais à me placer de façon à permettre la dérive libre et souple qui seule permettrais de faire venir un poisson à ma mouche. J’optais pour un montage qui s’était avéré payant dans la journée : corps jaune sale cerclé de noir, CDC gris et légère collerette violine, hameçon barbless n° 16. Je dépliais le long bas de ligne au dessus du courant pour un premier passage à l’entrée de la fenêtre. Ma position était bonne, pas de dragage. La mouche a dérivé de façon déliée. Je pouvais retenter un passage. La majorité des prises ont été faites sur une mouche flottant haut sur l’eau. Elles n’en était que plus visibles, gage de confort visuel, confort bien éloigné des mouches utilisées sur les rivières comtoises que je fréquente… Je n’ai donc eu pas de mal à repérer la montée du poisson, ni le gobage franc qui a suivi. En premier, c’est un corps large et puissant surmonté d’une grande dorsale qui apparaît et se retourne. Ensuite, vient l’éclaboussure, la soie qui se tend puis le démarrage inexorable dans les eaux blanches qui explosent autour, le Dry Fly qui se dévide régulièrement, sans arrêt, les mains qui se crispent… J’en arrive à penser qu’il me faut réagir lorsque le backing n’est plus très loin de suivre. Aussi, je descend et je suis comme je peux. Deux mètres, cinq, dix… Je perçois une sensation sinistre, comme un crissement sur le bas de ligne. Je gagne de la soie mais la sensation augmente. L’ombre ne dévale plus. Il est bloqué mais il me semble ne pas avoir de contact avec lui. Je comprends le déroulement de la situation lorsque je remarque le coude de la soie sur un énorme bloc au milieu d’un courant puissant… Le talon du bas de ligne crisse contre le rocher abrupt. Je suis toujours monté en 12 centième. L’ombre évolue dans la perturbation amont de l’obstacle. Je me risque dans le bouillon et décroche miraculeusement de l’emprise de la roche le fragile bas de ligne. Miracle, miracle, mais les jeux ne sont pas faits. Je suis en prise directe avec le poisson et le dresse désormais au plus serré : sur le bas de ligne. Je dévale avec lui. Je butte contre les blocs de granit. Je hurle tout en tentant de sauver la prise et peut être aussi d’éviter une chute mauvaise. Tout tourbillonne autour de moi. J’évite un mauvais trou mais mon genou se reçoit violemment sur un rocher. Je franchis finalement la zone des rapides mais je suis complètement vidé. L’ombre n’a pas fini. Gatti étant accouru m’entend prononcé les pires injures adressées à un poisson. Il me crie de le rejoindre pour des photos. Je n’en suis hélas pas encore là. La tête me tourne. Je dois éviter encore un grand trou contre la berge avec cet ombre qui continue de dévaler et me reprend de la soie… Je crois que c’en est fini lorsque le scion de ma GLX se prend malheureusement dans une branche et m’attends au claquement du bas de ligne. J’ai dévalé pas loin de quatre cents mètres de rivière profonde et rapide. L’ombre est toujours là. Il force toujours, tête vers le bas, nageoires déployées. Mon épuisette chausse ma casquette. Je le vois désormais. Il est véritablement énorme, plus grand encore que tout ceux que j’ai pris ces deux derniers jours. Combien fait-il ? Il me paraît que l’ombre de 56 cm était en dessous. Ne serait-ce que par sa corpulence. Soixante centimètres ? Cela me paraît tellement incroyable que je ne me risque pas à pronostiquer. Après quelques derniers sursauts, je parviens à glisser le poisson par la queue dans l’épuisette. Son corps occupe entièrement le filet. Il déborde de la raquette en bois. Gatti me crie de traverser pour les photos mais je reste un long moment hagard, au milieu de la rivière. Je ne contemple même pas l’énorme ombre, ni n’ai la préoccupation de le prendre en photo. La mouche pend désormais à l’extérieur de son museau qui ressemble à un bec d’oiseau. Nous récupérons chacun de notre coté. Moi, dressé dans le courant, lui, plaqué sur le filet. L’ombre est parti. Il s’est retourné filant d’entre mes mains incertaines. Je ne l’ai pas photographié, ni mesuré. Seul reste le souvenir intense d’un coup de ligne merveilleux et puissant. Un geste de pêche qui m’a vidé de ma substance et aidé à porter toujours plus haut le défi que nous offre les plus beaux poissons. D’autres images et commentaires prochainement sur mon blog (dont les photographies de quelques uns de ces ombres géants). Je remercie l’inénarrable et recommandable Gatti pour m’avoir permis la découverte de ce parcours remarquable.

Ailleurs dans le site

Actualité 23 avril 2024

Fiche Montage : Sedge CDC

Actualité 16 avril 2024

Fiche Montage : Victorienne 2 le corps

Forum