Le gros ruisseau de plateau coule clair malgré les pluies insistantes de ces derniers temps. Les sagnes, ces prairies humides d’altitude, ont encore une fois bien joué leur rôle d’éponge. Les blocs de granit jonchent le lit du cours d’eau, comme posés sur le sable blond pailleté de mica. Mais point de soleil aujourd’hui pour espérer apprécier les reflets d’or et les ombres moussues où se postent les truites : la rivière est encore grise de l’hiver. Verticale terne des troncs, bosses obtuses des roches qui émergent. Quelques crosses de fougères qui pointent, les premières feuilles si pâles de l’alisier, et c’est tout ce que l’on aperçoit d’un mai tardif. Je marche loin, là où je sais une succession de plats un peu marqués, décidé à attendre que quelque chose se passe en surface. L’heure méridienne est propice, mais le froid me contient sous cette aubépine rabougrie qui protège un peu des rafales changeantes. De rares insectes dérivent chaotiquement au gré des bourrasques… celui-ci se fait happer tout contre le rocher proche, trahissant la coquine. Quelques instants plus tard elle est là, sans faire de manières : les truites d’ici sont bonnes filles. D’autres viendront, vives et splendides, même si pour la plupart une règle d’écolier suffirait à en donner la toise. Déjà les petites éphémères grises ont disparu, cela aura duré moins de temps que je n’en aurai mis à venir ici à travers les bruyères et les sphaignes. Il faut rentrer, s’arracher à l’enchantement, et de là où le regard porte jeter un dernier coup d’œil sur ces immensités désertes. Quelque part en Haut Languedoc, une rivière au creuset de ces terres âpres coule immuablement, et mes rêves sont intacts.
