La réunion s’éternise, discrètement je lorgne le poignet de ma voisine. La trotteuse court inexorablement. Il faudrait pouvoir s’échapper, se transporter, se retrouver,là-bas, assis, un rocher lissé par les crues comme siège, le regard fixé sur les eaux vives. » Aucun autre point à évoquer? Levons la séance… » tentai-je innocemment en croisant les doigts sous la grande table… Le parking, un bref coup d’oeil sur la pendulette, rouler, rouler… Enfin, y être, le bord de la rivière, en ressentir la paix, son oubli, sa capacité à gommer les tracas quotidiens. Je m’escrime lamentablement sur une bande d’assées goguenardes. Ce soir, elles se gaussent, éclaboussant, bousculant le simulacre de phrygane. Des séries de dérives appliquées où elles se gobergent à quelques centimètres de ma sèche n’y changeront rien. Le temps file, je les quitte et mes pas se dirigent vers l’amont, vers ces vaguelettes, cette eau plus chahutée. Point clair sur fond sombre, l’artificielle vogue sur le clapot. L’étoffe s’est rompue, un remous muet, les ondulations ont disparu une fraction de temps; je tente et je ne sais si ce fut immédiat ou après deux ou trois autres posers mais le poisson est monté et je suis relié soudain avec lui, une assée finalement ? Il tient le fond vivement, ce poisson, avec des écarts puissants, des coups de tête rapprochés. Une assée serait déjà en surface à battre l’eau, désespérée, blanche. Il tente une fuite plus vive encore et, jugulé, saute! La réunion est bien loin, plus rien ne compte sinon ce lien ténu, la canne souple travaille patiemment et ça vient, ça vient. C’est un ombre, plutôt rare parmi les nombreuses assées du parcours!! Dans le soir, sa robe d’acier me captive. Fin, racé, splendide, je le sentirai presque vibrer. La scène se rejoue. Deux autres de ses frères se font prendre, si facilement… Des candides, ces trois frangins, les assées rient et s’en moquent encore! Demain une autre réunion? Peu importe…