Un bout de ficelle et les cuissardes sont passées sur les épaules. Une boîte à mouches, deux bobines de fil et les trois brins de la 7'6. Léger.
Une carte complète ce nécessaire, et me voilà qui descends la piste odorante de sapins coupés. Le travers est rude, le regard porte sur ce fond de vallée oublié, sur ce paysage qui change brusquement quand on se penche un peu sur le versant sud de nos montagnes.
C'est une grande davalade de pierre et de bruyère. Le rec franchi, on trouve bientôt une sente en corniche sur l'autre rive, vestige d'une large carraïre utilisée à l'époque où des hommes vivaient ici. Le ruisseau chantonne juste en bas, mais le chemin ne le suivait pas, l'emprise sur les terres cultivables aurait été trop forte.
Quelques gourgues dans la roche nue, des chutes de falaises ombrées de buis, voilà des coins où les truites montent nonchalamment sur mes mouches rustiques. Et puis, à chaque cascade sous une chaussée, la « païssière » comme on dit ici, un poisson plus gros et la canne se cambre de plaisir.
D'énormes pierres posées sur chant, des canaux d'amenée creusés à même la roche, des murs de soutènement: que d'efforts ont été consentis, et pour quels résultats ? Quelle vie a-t-on menée ici ? Je ne peux m'empêcher de penser aux gars qui, à la même époque fleurie, il y a tout juste un siècle, ne savaient pas qu'ils allaient partir bientôt…
Après, personne n'a eu la force d'entretenir ce que leurs pères avaient édifié.
D'autres poissons se prennent encore, puis de moins en moins à mesure que le ruisseau retrécit.
Je retrouve enfin la piste qui m'a mené ici. On s'élève rapidement, avec un regard sur la coulée verte déjà tout en bas.
De nouveau la roche grillée, le soleil moqueur et les stridulations des insectes: un autre été arrive.
