Premier automne – Incandescent

12 octobre 2016

Russie

Grimheyaba

christophe douziech

Une nouvelle de Cérou et de Christophe Douziech

« L’eau venue des tourbières et de la taïga a le rouge d’un thé russe oublié dans sa bouilloire. Elle s’écoule ou bondit vers les sables battus par les vents. Là-bas, dans la houle, derrière la barre blanche, les poissons se pressent peut-être.

Je suis posté entre les blocs, veilleur frigorifié, prêt à intercepter un grand migrateur sur son chemin. La touche peut être spectaculaire, un rush violent vers la surface dans la seconde qui suit le contact de la mouche avec l’eau, ou bien une tirée franche dans les profondeurs sombres. La défense est opiniâtre, le poisson jamais rendu.

Quand le grand fuseau argenté vient s’allonger sur les galets ou bien glisser entre les prêles d’eau, quelque chose serre dans la poitrine. Le temps se fait plus épais ; on était loin, on est encore plus loin. Solitaire, une feuille de tremble vibre au bout de son rameau, les bouleaux se défont de leur vieil or un peu plus tous les jours. Et l’orangé des sorbiers dans la violine d’un crépuscule du nord qui s’étire. Il y aura deux automnes cette année. Cérou

Fin d’un autre jour de pêche, crépuscule. Les muscles du dos, des bras, des cuisses se font plaintifs. Incandescence des bouleaux et des saules au long de la rive de ce dernier grand pool. Au loin, le grondement de la chute m’atteint. Christian est là-bas et pêche en aval de cette dernière.

Lancer, amender, bloquer la canne pour dériver tendu dans l’axe des lignes d’eau ponctuées d’écume. La crevette au ventre d’or doit aller à portée de gueule au plus près de cette dépression, près de la roche noyée que ce  vif courant signale.

Une tirée brutale, sèche puis l’explosion en surface. Le poisson jaillit soudain complètement. Le moulin crécelle, la soie scie la surface et file dans le courant, une vaguelette comme étrave. La rivière paraît encore plus puissante. La canne dressée contre le ciel confirme la force du saumon. Il me faut sortir, regagner la rive pour m’imposer. Tâche ardue, les fonds sont tourmentés, traîtres, obscurs et les eaux  vives. La berge semble si éloignée soudain. J’échappe au bain glacial de justesse. En reculant prudemment, j’atteins les premiers rochers enfin.

Rien n’est gagné: le fil frôle les pierres, le poisson tient le fond. Des deux mains, j’incline et tire sur la canne, le triangle noir de la caudale griffe la surface mais la tête reste toujours invisible.

Je parviens à le sortir de l’eau puissante non sans mal. Je crains la détente brutale lorsqu’il roule en surface, la lutte dure déjà depuis un bon moment mais la petite mouche tient bon.

Il est là, sur le flanc, un peu de rose dans le bleuté des écailles. Il s’enfonce et disparaît dans l’ombre.

La nuit approche, je suis fourbu et ravi, le chemin du retour est encore long à travers la taïga…

Christophe Douziech

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