Vendredi 9 juin 17h30. Premier jour de vraie chaleur sur l’Auvergne depuis de longs mois. Je décide de faire l’impasse sur un peu excitant Allemagne-Costa-Rica en ouverture du Mondial à la TV et de filer en direction des Gorges de la Sioule entre Ebreuil et Menat. Je choisis un plat que j’ai l’habitude de pêcher à cette période de l’année. Le niveau est parfait. Quelques mouches de mai volettent sans susciter la moindre activité apparente mais il est encore tôt. Je me change en vitesse et commence à prospecter les zones d’ombre le long des bordures. Rapidement, une truitelle se laisse tenter. Peu enclin à pêcher l’eau je m’installe sur un rocher et observe durant de longues, très longues minutes, le ballet d’un groupe de barbeaux. De temps à autre un flanc argenté bascule et répond aux rayons du soleil qui, peu à peu décline. Il est temps d’envisager les choses sérieuses. Je redescends me positionner à la cassure aval du plat, prêt à attaquer une remontée que j’espère productive dès que les premiers gobages vont claquer… Je m’accroupis, posant les yeux le plus possible au ras de l’eau, cherchant à détecter face à moi un léger remous, un déplacement d’eau, la preuve qu’un poisson est là, en poste. C’est le moment précis que choisissent deux ombres pataugeantes pour déboucher 20 m en amont et gagner avec force éclaboussures le milieu de la rivière. Les bras écartés en signe d’incompréhension, je distingue, dans le contre jour, le premier des arrivants qui me gratifie d’un petit salut de la main et commence à étendre sa soie, expliquant à (très) haute voix à son compère, les gestes de base de la pêche à la mouche. Fou furieux de voir mon terrain de jeu pour la soirée se réduire d’un coup à une vingtaine de mètres de rivière, je fais rapidement les quelques pas qui me séparent du duo et me plante, sans rien dire, deux mètres à côté. Découvrant la ribambelle d’écussons tricolores qui agrémentent le gilet du « prof » je l’interroge : « Vous êtes guide ? » avec comme arrière pensée la réponse toute prête : « Bravo ! C’est super de commencer l’éducation d’un nouveau moucheur en lui montrant qu’il ne faut pas hésiter à se positionner 20 mètres en amont d’un autre pêcheur ! ». La réponse me prend de court : « Non je ne suis pas guide, mais je suis compétiteur ! ». No comment ! La compétition a parfois des raisons que le savoir-vivre ignore ! Devant ma demande d’explications concernant son comportement que je juge pour le moins « légèrement discourtois », le futur champion du monde m’explique qu’il pensait que j’allais pêcher en descendant. Adorant être pris pour un jambon je laisse mes deux nouveaux amis à leurs ébats et redescends sur la cassure. En ½ heure il auront disparu sur l’horizon, remontant le plat au pas de course. Leur évanouissement dans l’ombre qui arrive coïncide avec les premiers signes d’activité devant moi. Quelques poissons se sont positionnés. et gobent assez irrégulièrement. Les passages successifs et les changements de mouches ne donnent rien si ce n’est un petit ombre un peu téméraire (photo). Les dernières 30 minutes avant la nuit vont tout changer. Les gobages deviennent intensifs et je finis par trouver LA mouche. Presque chaque passage est gratifié d’une prise (ou au moins d’une montée) et six truites entre 25 et 30 cm viendront se faire câliner avant de repartir. Je ne prends même pas le temps de les transformer en pixels à coups d’APN, trop pressé que je suis de ne pas perdre une minute de ce moment béni. Finalement ce premier coup du soir réussi pour cette année se terminera sur une émotion avortée. Alors que depuis un moment je ne distingue plus ma mouche et je ferre au bruit. Alors que je relève ma soie, jugeant que la dérive est terminée, je sens une résistance. Plus qu’une résistance. J’ai laissé ma mouche plonger en fin de dérive et elle s’est sans doute bloquée dans un des cailloux qui signalent le début des rapides. Accroché ? Oui mais pas à une pierre car ma soie se déplace latéralement et je sens les vibrations transmises à la canne par un poisson. Je tends un peu pour le sentir et réalise que la bête ne souhaite pas bouger. Elle s’est calée et la tension que j’exerce sur le fil ne la trouble pas outre mesure. Juste le temps d’imaginer la taille de la truite et de me raisonner en essayant de m’auto-convaincre que c’est sûrement un barbeau… ma soie se détend d’un coup et la mouche revient vers moi à vitesse grand V. Décrochée ! Je me maudis de n’avoir pas ferré, pompe rageusement sur le levier du Viva et regagne la voiture. Mais pas de regret ! C’était enfin une vraie soirée de pêche à la mouche. La saison démarre tard mais bien !