Dix-neuf heures trente, je finis mon verre et la tension est palpable; les cocardes tricolores ornent les joues des jeunes filles, les regards sont rivés aux écrans du café. Je file vers l’amont, fenêtres ouvertes. Pas une voiture n’est garée aux endroits habituels. La rivière est vide de tout pêcheur. Me voici équipé, m’immergeant dans cette eau délicieusement fraîche. Devant moi, un museau cueille délicatement, sans aucun bruit, un subimago d’ignita . Puis en amont un autre gobage plus bruyant. J’allonge la pointe et je pose l’émergente de phrygane. Le poisson prend et je le décroche aussitôt. Idem pour le museau silencieux… La première mi-temps va s’organiser autour d’une noyade de fourmis volantes qui vont sortir les poissons du secteur. Les gobages sont gras et bulleux. les ignita sont ignorées tout comme les rares sulphures présentes. Mon émergente n’a aucun succès, vite une fourmi en néoprène. A deux longueurs de canne, une truite monte de plus en plus régulièrement , trois secondes entre chaque prise, sur les plus grosses fourmis engluées, ni franchement rousses ni franchement noires. Je lui pose de plus en plus court la mienne ; une noire , sur le nez et elle se trompe, se pique en réagissant vivement par une fuite aval. Puis la dérive des hyménoptères se ralentit et les copines se calment. En face, les trois beaux ombres s’y mettent, provoquants. Toujours fidèles à leur position depuis bientôt un mois et toujours bien vivants… Arrêt de jeu ou pause puis sur la seconde mi-temps, les imagos chutent en nombre mais les truites font les difficiles et seules les plus petites se chargent d’en consommer. Avec la nuit qui vient, ce sont les phryganes qui vont réveiller les endormies…les gobages deviennent plus larges et moins discrets. Mon sedge n’a pas de succès et ma vue ne me permet plus de changer de modèle; C’est sûr, celle qui gobe à quelques mètres va faire une erreur. Et, à nouveau, c’est sur le nez qu’elle prendra ma mouche qui ne sautille pas en agitant ses ailes. Toute de fourmis rebondie, retourne vite à ton rocher pour que je vienne t’y revoir. Plus aucune voiture n’est passée… depuis longtemps sur la route. Le héron passe en grinçant et je laisse la place aux chauve-souris. Dans Argentat, ça klaxonne…bon signe ça.
