Randonner, pêcher, à travers les paysages splendides du Massif Central
Voilà ce qui m’attendait en décidant de suivre le GR7.
Ce sentier, qui part de Bâle pour rejoindre la frontière espagnole, suit le plus rigoureusement possible la ligne de partage des eaux. A quelques pas près, une goutte d’eau peut finir dans les froidures nordiques, les vagues atlantiques où le bleu méditerranéen.
De Saint-Étienne à l’Aigoual, la section que j’ai parcourue à l’été 2013, le sentier ne descend que très rarement en dessous de 1000 m d’altitude. Il contourne les Chiras du Pilat, paresse sur les plateaux du Velay, donne l’assaut au Mezenc, visite le cœur d’un volcan sur le plateau ardéchois, contourne prudemment l’imprévisible Tanargue, se perd en Margeride, pays de la bête du Gévaudan qui devait s’abreuver aux sources de l’Allier, suit le Lot naissant avant de passer au dessus des 1500 m d’altitude sur les Monts Lozère, qu’il descend plein sud pour jouer les équilibristes sur les arêtes schisteuses des Cévennes, trace tout droit sur les plateaux arides et désolés des Grands Causses, et gravit enfin la masse imposante de l’Aigoual, sentinelle du Sud, à quelques dizaines de kilomètres à vol d’oiseau de la mer.
Comme j’ai randonné en plein mois d’août, et rarement profité des coups du soir, j’ai complété l’article par des photos prises en dehors de ce voyage, ou bien gracieusement fournies par des gobnautes. Qu’ils en soient ici remerciés.
Ni carnet de capture, ni article scientifique, ce récit n’a qu’une ambition, vous faire jeter quelques provisions dans les sacs, préparer un matériel léger et complet, nouer les lacets, et vous voir partir redécouvrir et aimer les trésors oubliés que la France cache encore. Nous sommes loin des rivières de piémont et des records qui alimentent blogs et fantasmes, c’est une autre pêche, chaque truite est un bijou, un exemplaire unique parfaitement adapté à un milieu particulièrement rude.
Ambiance …
Le Pilat et la Haute Ardèche
Pays des croupes arrondies entaillées de vallées profondes, des sombres sapinières, aux portes de l’immense conurbation que forment Lyon et Saint-Etienne, des ruisseaux naissent dans le secret des tourbières. Côté Atlantique, la Dunière a le temps de musarder un peu avant de rejoindre la Loire, mais côté méditerranéen, le Gier, la Deume (ou Deôme), la Cance, dégringolent des pentes beaucoup plus marquées pour se ruer dans le Rhône.
paysages du Pilat
Truite de la Dunière (versant atlantique)
Truite de la Cance et du Doux (versant méditerranéen)
Du Velay au plateau ardéchois
Le Velay est un vaste plateau volcanique, fertile, célébré pour sa production de lentilles. A la vue du randonneur, qui parcourt ici des kilomètres sans trop d’effort, de vastes pâturages, des terrains cultivés, de gros bourgs aux habitations serrées pour se protéger du vent. Au loin, l’infini comme horizon, seulement barré au sud par la ligne de crête allant du Mezenc au Mont Gerbier de Jonc. Les rivières s’étirent en longs méandres lents. La plus célèbre d’entre elle c’est bien sûr le Lignon, qui dispose de plusieurs no-kill, dont un très en amont (au dessus du Fay sur Lignon), que j’ai pu pêcher.
paysages du Velay aux environs de Chaudeyrolles en Haute-Loire (on devine la forme du cratère, le fond ayant été exploité pour la tourbe)
le Lignon du Velay (versant atlantique) au niveau du no-kill de Fay sur Lignon
truite(lle !) du Lignon
Pour rejoindre le plateau ardéchois, il faut ensuite contourner le massif du Mezenc. Le sommet de l’Est du Massif Central (1753 m) est bordé à l’est par de superbes cirques et de profondes vallées. Là encore, la différence entre les bassins versants méditerranéens et atlantiques est frappante. A l’est, les rivières se perdent très vite dans des vallées encaissées, tandis qu’à l’ouest, le relief est beaucoup plus doux. La randonnée se fait presque toujours avec le Mont Gerbier de Jonc en ligne de mire, au pied duquel le fleuve le plus long de France nait. Il s’en est fallu de quelques dizaines de mètres pour que la Loire ne soit qu’un petit torrent rebondissant de vasque en vasque vers le Rhône. Au lieu de ça elle commence ici un périple de 1200 km.
Attention, dans ce secteur en particulier, qu’un coup de vent du nord ou une dépression d’ouest arrivent, et la riante montagne à vaches se transforme en enfer du randonneur, même en plein été.
La rivière reine du secteur est bien évidement la Loire. A Sainte Eulalie, depuis le célèbre Hôtel du Nord connu de nombre de pêcheurs, il ne faut que quelques dizaines de mètres pour rejoindre le fleuve naissant et ses truites.
paysages du Mezenc
la Loire (versant atlantique)
truite de la Loire, no-kill de Sainte Eulalie, (crédit photo : Marc Bouvard, alias thymarc19)
Du plateau ardéchois aux confins de la Margeride
Le Mezenc, le Gerbier de Jonc et la Loire derrière soi, on retrouve les vastes plateaux, ponctués de reliefs volcaniques. Le GR7 descend notamment dans la Vestide du Pal, vaste maar, présenté comme le plus grand cratère d’Europe.
Quelques ruisseaux s’échappent à l’est ou à l’ouest, bien que très en amont du chevelu, ils abritaient presque systématiquement de petites truites vives.
Depuis le plateau, le regard porte vers l’Est et la ligne de crête déchiquetée du Tanargue, montagne secrète tirant son nom du dieu celte du tonnerre.
Le chemin surplombe la vallée encaissée ou nait l’Ardèche et croise des torrents qui se déversent de vasque en vasque à travers les hêtraies et les pinèdes. La pente très marquée n’empêche pas de superbes petites truites extrêmement farouches de résider dans ces impétueux ruisseaux. Approche de sioux primordiale, en été, par eaux basses, le jeu se transforme en supplice pour le pêcheur, vite rappelé à plus de modestie dans sa manière d’aborder les poissons…
Truite de l’Ardèche, bassin méditerranéen, (crédit Sébastien Carlet, alias Seb43)
Le paysage prend un temps des allures de Cévennes, chemin de crêtes bordant de vastes précipices où la végétation commence à devenir méditerranéenne.
chemin de crête en allant vers la Margeride
Les bienfaits du Sud s’estompent vite lorsqu’on bifurque vers l’ouest pour s’enfoncer vers la Margeride. Pays secret, austère, fait de forêts sombres, de pauvres landes et de boules de granit posées là par quelque géant. C’est dans ces paysages, à moins de deux kilomètres de distance, sur les pentes du Mour de la Gardille, que l’Allier et le Chassezac prennent leur source. La première va vivre pendant 425 km sa vie de presque fleuve avant d’être vaincue par la Loire et rejoindre l’Atlantique, l’autre va rapidement s’encaisser dans des gorges sauvages et peu accessibles pour se jeter dans la Borne puis l’Ardèche, le Rhône et la Grande Bleue. Les deux rivières sont, si près de leurs sources, transparentes, et il est bien difficile d’y attraper des truites pour noter les différences entre souches atlantique et méditerranéenne. Les truites du Chassezac présentent sur ce secteur amont une étrange livrée argentée ponctuée de points orange. Je me suis posé la question d’éventuels alevinages, dommage pour un secteur qui parait en très bon état écologique. Si vous avez une idée là-dessus, n’hésitez pas à en faire part.
avant de descendre vers la vallée du Haut Allier
L’Allier en amont de la Bastide Puylaurent, presque à sa source
truite de l’Allier, versant atlantique (crédit Bruno Cosard)
en remontant le Chassezac
truite du Chassezac, versant méditerranéen
Les montagnes qui donnent naissance au Lot sont presque effrayantes tant elles sont inhabitées et couvertes de sapinières sombres. En arrivant au Bleymard, le paysage est un peu plus riant, mais la barre des monts Lozère présage une belle grimpette.
Le Lot tout proche de sa source
Le Lot n’est ici qu’un ruisseau aux eaux cristallines, peuplé de truites aux yeux derrière la queue.
Truite du Lot, bassin atlantique, (crédit Sébastien Carlet, alias Seb43)
aux environs du Bleymard
Les monts Lozère, les sources du Tarn
Une masse granitique qu’il faut affronter de front, où le vent hurle presque en permanence, bastion des hivers longs malgré la proximité de la Méditerranée, un coin d’Ouest Américain en Languedoc, voilà ce à quoi peuvent ressembler les monts Lozère.
C’est là que le Tarn nait. On le connait bordé de falaises calcaires, saturé de canoës, ici il grossit parmi les rochers, les pins rachitiques, et abrite des truites combattives en diable.
paysages des Monts Lozère et vues du Tarn
truite du Tarn (versant atlantique)
Des Cévennes au Mont Aigoual
Il faut quitter cet endroit magique, seul Parc National de moyenne montagne en France, et continuer vers le Sud. Sur les arêtes schisteuses des Cévennes, le GR7 enchaine les montées et descentes particulièrement raides, au milieu des pierriers, des châtaigneraies abandonnées et des prairies inondées de soleil. Si l’altitude moyenne décline doucement, les dénivelés sont particulièrement conséquents. Les rivières semblent inaccessibles depuis le chemin, très loin en contrebas, dans des vallées encaissées où s’accrochent des hameaux qu’on dirait sculptés dans la montagne, entourés de terrasses agricoles abandonnées pour la plupart.
En quittant les Monts Lozère
le peuple de l’herbe …
L’Aigoual apparait au loin, le sentier s’aventure maintenant dans le Can de l’Hospitalet, petit causse perché à plus de 1000 mètres, séparé des grands Causses par la vallée de la Mimente et du Tarnon. Le GR7 surplombe d’ailleurs ce dernier, qui aurait mérité une petite escapade !
Le Tarnon dans la vallée qu’il creuse sur les pentes de l’Aigoual
bientôt la fin du voyage
Enfin, le pied retrouve le schiste et le granit pour entamer l’ascension du Mont Aigoual. Bastion avancé du Massif Central en terres méditerranéennes, le sommet de plus de 1500 m d’altitude voit la météo se déchainer tout au long de l’année, du fait de la confrontation permanente entre masses d’air océaniques et méditerranéennes. Pluies diluviennes, hauteur de neige, froid précoce, beaucoup de records nationaux ont été battus ici. L’Aigoual perce les nuages et ses flancs donnent naissance à plusieurs rivières de rêve. Jugez un peu, autour de cette seule montagne se dirigent vers l’Atlantique le Tarnon, la Jonte, la Dourbie et son affluent le Trèvezel, vers la Méditerranée, l’Hérault.
photos de truites d’un petit affluent de la Dourbie, versant atlantique
En redescendant de l’Aigoual, j’ai déjà un nouveau projet en tête, faire le tour de la montagne pour découvrir toutes les superbes rivières qui y naissent. Et vous ? Racontez nous vos aventures, découvertes et coups de cœur, n’hésitez pas à prendre la plume.
Alexis GANTE