Cet article est la partie 2 sur 2 de l’article « pêche à la mouche dans le Colorado« .
En bon Français, je m’imagine que le printemps au Colorado est le même que dans notre douce France. Les premiers rayons de soleil percent, et quelques flocons de neige peuvent tomber, rien de grave…
Après une bonne nuit passée à rêver du sublime « Eleven miles canyon », je me réveille comme une fleur, et jette un coup d’œil à la fenêtre. 2O cm de neige sont tombés dans le jardin, la route est impraticable.
Quelques heures après la tempête on peut se retrouver à pêcher à vue sur un lisse sans vent…
Bienvenue au Colorado ! Bon. Que faire ? Mettons-nous à l’étau ! Je n’ai pas souvent le temps de monter des mouches créatives pour moi-même, tellement je dois en produire pour les autres. Je me lance dans quelques modèles « freestyle » au cas où je trouverais de la pêche à vue…
Finalement, ce sera avec les nymphes céramique – et notamment toutes les variantes de cuivres – que je prendrai les plus beaux poissons.
Au bout d’une heure, le soleil pointe le bout de son nez et toute la neige se met à fondre. Il est midi, les routes sont praticables, la tempête de neige de ce matin n’est qu’un mauvais souvenir.
Voilà ce qui m’attend pour les prochains jours : de la pêche à vue, et un peu de pêche à vue !
Grosse pression de pêche sur Deckers.
Au vu de la météo instable, je ne pars pas pêcher trop loin, et reste sur les parcours de Deckers, à environ 1 kilomètre de mon logement. La rivière est assez large – disons comme la Haute Rivière d’Ain à Champagnole, pour comparer – et toujours autant remplie d’algues. Je fais mes meilleures dérives sans résultat.
À Deckers, vous ne trouverez que des routes de graviers, mais très bien entretenues
Étonnant… Après une heure de pêche sans touche, je commence à me décourager… Je vais affiner mon approche, et vraiment pêcher les courants à distance, ces truites doivent tout de même être très craintives,car elles voient passer beaucoup de pêcheurs.
Les lisses de Deckers « comme dans les films ! »
La stratégie paye, je prospecte une bordure opposée à 15 mètres et mon indicateur marque finalement un arrêt prometteur sur la bordure d’en face. Un gros ventre jaune se tortille, j’ai réussi à « pogner » ma grosse du jour.
Des truites bien jaunes
Les poissons se battent comme des diables dans cette eau fraîche et le 14 centièmes n’est pas de trop pour brider ces furies qui veulent à tout prix se frotter ou se réfugier sous les cailloux. J’épuise une superbe « brownie ». Heureux le type !
L’eau cristalline m’a permis de prendre de nombreuses « subaquas »
Rencontre avec « Le matraqueur »
Je continue ma prospection et deux autres pêcheurs me rejoignent. On entame la discussion, et l’un deux me dit que je peux passer à leur cabine ce soir « to have a couple of beers » !
Je vais enfin voir des Américains en action de pêche. Le nom de mon nouvel ami est Bill Nelson, il est guide dans le Colorado depuis 20 ans. Je m’assieds sur la berge, et regarde les locaux pêcher leur rivière de prédilection. Je vais avoir le droit à une démonstration de pêche « à l’américaine » en live, moi qui étais si curieux de voir comment les Yankees manient le fouet.
Un exemple des dégâts des feux de forêts… Qui ont apparemment beaucoup d’incidences sur le milieu aquatique
On m’avait souvent raconté que l’art de la pêche à la mouche était maltraité aux Etats Unis, et notamment que la pêche en nymphe lourde prenait tous son sens au pays de l’oncle Sam.
Voici le genre de courant que les Français aiment prospecter discrètement…
Et voici le genre de courant où la pêche « à l’américaine » reste la plus efficace
Je vais vous faire ici le portrait de mon ami Bill, qui préfère la pêche en nymphe « lourde », et plus tard, je vous présenterai un autre pêcheur avec une approche plus « française » de la pêche à la mouche.
Ça tombe bien, Bill est apparemment un pro de la nymphe, je vais en apprendre un rayon.
Aïe ! Ça commence mal, il sort une bobine de 0,22 mm. Premier pincement au cœur. Puis voilà mon super-guide-de-pêche qui sort la boîte de chevrotine. Mes doutes sur les méthodes de pêche primitive des Américains deviennent soudainement réalité. Il se lance dans le montage d’une ligne que je trouve totalement dépourvue de logique : 2 mouches, une en pointe, l’autre attachée directement sur la ligne, surmontées de 3 chevrotines d’1 g. Nom de Dieu ! 3 grammes ! Est-ce moi qui ai trois grammes dans les veines, ou est-ce que ce type va vraiment attaquer ce courant avec 3 grammes de lest sur sa canne à mouches ! Ceux qui me connaissent savent que je pêche assez lourd, et que je suis assez grossier sur le poids de mes nymphes, mais alors là, je suis soufflé, le type pêche en soie de 6 avec 3 grammes de lest sur sa canne ! Même mes amis qui pêchent à l’ultra léger ne pêchent pas aussi lourd !
Je sens que je vais avoir droit à un spectacle… J’enlève mon gilet et mes polarisantes, et je me grille une clope pour savourer la tragi-comédie qui va se dérouler devant moi… ça y est, sa ligne est finalement montée, il range sa « pince-à-serrer-les-plombs » dans le gilet.
• Dommage de se priver de la pêche à vue sachant qu’il y a des poissons partout !
Maman j’ai peur ! Bill – que j’ai désormais surnommé le matraqueur– commence son show à l’américaine. Premier lancer… ploufff ! Ah non c’était un faux lancer ! Il allonge de la ligne PLOUFFF !!! Les coups pleuvent dans la veine d’eau ! Je suis hilare ! Il est tellement sérieux et je trouve ça tellement violent ! C’est le choc des cultures ! Il finit sa dérive, vérifie bien que je l’admire, me lance un grand sourire, et continue sa prospection. Il a maintenant atteint le rythme de un pas /un lancer, soit un saut de sanglier dans l’eau, couplé à une explosion atomique de nymphes dans l’eau. En terme de bruit, ça donne SPLASH (Bill avance) / PLOUFFF !! (Bill pose sa ligne).
20 minutes passent, il ne prend pas de poissons. Nom de Dieu, j’ai fait ce courant avant lui à quatre pattes en fouettant à distance avec du 0,14 mm en pointe et une nymphe tungstène 2,8 mm, et je me croyais déjà trop lourd !!!!
Et vas-y que je m’accroche au fond, et que je tire comme un bœuf ! Il sort une énorme branche – tu m’étonnes avec du 0,22 mm en pointe il aurait pu ramener l’arbre – il démêle sa ligne et repart de plus belle. J’imagine les truites en bordure qui partent comme des fusées.
Au pire des cas, même si la rafale de plomb qui tombe dans l’eau n’effraie pas les truites, l’indicateur utilisé reste d’une discrétion remarquable, il se compose d’une sorte de balle de ping pong bicolore d’environ 4 cm de diamètre. J’imagine les truites en dessous « Alerte ! Alerte ! Voilà le matraqueur !!! ».
J’avais vu des mecs lancer avec le moulinet à l’envers en Mongolie, j’en ai vu pêcher au filet en Suède, pêcher à la main dans les sous-berges en Écosse, et même des Roumains affamés pêcher à la fourchette, mais alors là , le matraqueur a battu tous les records, car il tient vraiment une technique affûtée depuis des années !!
Quel animal ! Je le regarde, stupéfait ! Je ne veux pas être hypocrite, mais je ne peux pas commencer à dire à un local que je pêcherai comme ci ou comme ça, d’ailleurs, je n’ai pas fait beaucoup mieux que lui aujourd’hui, je n’ai fait qu’une truite, c’était une journée médiocre pour la pêche.
Journée de pêche compliquée, mais j’aurais quand même vu autre chose que des poissons !
Enfin – tout de même – je le regarde encore une dernière fois, et je l’imagine au Pré Bourassin, ou au miroir d’Ornans, ou encore sur les lisses de Champagnole avec cette méthode révolutionnaire.
Vous aurez du mal à me croire, mais sur certains lisses, la pêche s’est révélée aussi dure qu’en France !
Bref, trêve de plaisanteries, je rentre manger une soupe chaude à ma cabine, et je rejoins Bill le matraqueur et son ami vers 20 heures pour boire quelques bières. En tout cas, la passion pour la pêche à la mouche n’a pas de frontière, et nous décidons, après une dizaine de bières, qu’en fait, notre passion commune n’est pas la pêche à la mouche, mais le fait d’être au bord de l’eau, ce qui est beaucoup plus philosophique (surtout après 10 bières).
Même les poissons de taille modeste se battent comme des furies aux USA
Finalement je lui demande qu’il me montre ses boîtes et son montage « à l’américaine ». J’ai soudainement une révélation, et je comprends en un éclair de seconde ce qui leur permet de prendre du poisson (ou en d’autres termes, ce qui leur évite la bredouille au vu de leur discrétion remarquable au bord de l’eau). Au-delà du manque de discrétion lié au poids des plombs et de l’indicateur (qui devrait d’ailleurs clignoter, il serait plus visible), il y a un point majeur qui les « rattrape par la culotte » : ils pêchent avec de minuscules mouches.
Et quand je dis minuscules, je pèse mes mots : je ne parle pas d’hameçons 18 ou 20, je parle d’hameçons 22 à 26 !!! Si, si, si, c’est vrai ! Bon, toute logique gardée, lorsqu’ils pêchent avec des mouches taille 24, ils doivent affiner leur pointe jusqu’au 16 centièmes – sinon le nylon ne passe pas dans l’anneau – discrétion remarquable !
Encore un lisse où les truites ne prennent que de minuscules mouches. Dans les courants plus agités, c’est une autre histoire…
Et le pire de l’histoire, c’est qu’ils prennent du poisson avec cette méthode. Car bien que les truites en bordure détalent dès qu’elles entendent les impacts de plomb, celles qui se tiennent dans les courants agités, et qui n’ont pas entendu la détonation se font avoir par les minuscules mouches qui dérivent près du fond !
Il est clair qu’une petite mouche emmenée par des chevrotines dans un tel courant prendra du poisson.
C’est donc une méthode parfaite, mais seulement pour les courants très agités où les poissons ne peuvent voir ni le diamètre du nylon, ni entendre la déflagration de la plombée comprise entre 4 g pour les plus bourrus et jusqu’à 1 g pour les grands techniciens.
Le genre de spot qui offre un beau poisson si on l’approche avec discrétion
Il faut aussi également préciser que les Américains ont un linéaire énorme (voire monstrueux) de rivières à prospecter, ils se foutent donc pas mal de pêcher sur les lisses ou les faux plats, et courent directement « bananer » dans les courants.
Et encore un spot de rêve !
La nuit se finit aux alentours de 20 bières, ce qui ferait presque parler chinois mon nouvel ami tellement je ne comprends plus rien à ce qu’il dit !
Demain, rendez-vous à 7 heures pour aller pêcher un endroit mythique appelé Cheeseman Canyon.
Cette nuit, rêves prémonitoires de grosses truites !
Cheeseman Canyon, ou le paradis sur terre
Je dois avouer que j’avais essayé par moi-même le jour précèdent de trouver le chemin qui mène à Cheeseman Canyon, mais j’ai échoué.
Le début du chemin qui mène au Cheeseman Canyon
Ce coin est très réputé, et je voulais absolument aller y tremper une nymphe. J’étais surtout attiré par le fait qu’il faut faire environ 20 minutes de marche assez difficile pour rejoindre cet endroit, ce qui élimine déjà une grande majorité des Américains qui aiment – il faut l’avouer sans être critique – pêcher lorsqu’ils descendent du pick-up.
J’ai donc proposé à Bill que l’on passe la journée ensemble dans le Cheesman Canyon. Ce matin, il y a encore une bonne couche de neige, mais le soleil commence à apparaître, et fait fondre toute cette neige, ce qui nous laisse le champ libre pour aller explorer le fameux canyon.
Le chemin lèche les crêtes, il est plus ou moins marqué, il ne faut pas en perdre le fil. J’apprendrais 5 jours plus tard que des ours bruns et des cougars vivent dans le bois ou passent la piste qui mène à Cheeseman Canyon. Il y a juste un mort par an à cause des cougars ou des ours bruns… Ah ces statistiques !
Le chemin serpente entre les montagnes
Nous arrivons au sommet après 10 minutes de marche sur des pentes assez raides. Vous trouverez au sommet « du trail » un panneau indicatif qui présente tous les différents pools du canyon. Tout comme les Britanniques, nos amis américains aiment donner des noms à tous les pools, je trouve ça assez poétique, ça fait rêver.
On trouve souvent de jolies cartes en Amérique
Après une séance de « shooting photo » devant le panneau enneigé, il est temps de passer aux choses sérieuses. Ce n’est pas que j’ai envie de pogner une grosse arc, mais presque ! On entame la descente, et le soleil donne de plus en plus, conditions parfaites pour la nymphe à vue…
Le sourire du « NAVeur »
Nous voilà dans le fameux canyon, la rivière est effectivement limpide, et je peux déjà voir quelques poissons de taille sympathique (45 -50 cm) qui fuient à notre approche.
Première vision de la South Platte au fond du canyon
Mon ami le matraqueur m’a prévu un beau programme, une leçon de pêche en « high sticking », en gros la même chose que la pêche au fil posé en France, mais avec les fameuses chevrotines, et avec le bout de la soie comme indicateur, en « un peu plus lourd »…
En fait, hier, Bill m’a juste donné un avant-goût de ce qu’il voulait me montrer. Il recommence le show mais cette fois-ci de manière scolaire et structurée. D’un air très sérieux – les pieds dans l’eau – il me lance : leçon n°1, le nœud de cuiller. Une grosse truite passe en bordure à quelques mètres de lui. Ma main gauche tricote ma nymphe par réflexe de bander l’arbalète…. Je n’écoute malheureusement plus Bill, toute mon attention est concentrée sur cette belle truite en maraude dans l’eau cristalline.
Trois truites nymphent sur ce lisse…
Bill continue le show : leçon numéro 2 : le, nœud de potence. Je commence à lui dire que je connais tous ces nœuds et que j’aimerais bien lui montrer la pêche à la française. Mon camarade américain tient vraiment à me montrer en détail la méthode américaine. La grosse truite que j’ai repérée se met à nympher… Je bouillonne… PLOUFF ! Ma truite sursaute et s’enfuit en un coup de réacteur… ça y est, il a recommencé à pêcher…. Le bulldozer est en marche, plus il monte dans le courant, plus je vois de truites qui détalent… Je m’arrache les cheveux… Il vient d’annihiler toutes les bordures à prospecter en nymphe à vue.
Les farios sont beaucoup plus craintives que les arcs.
J’en viens au point de lui dire que je respecte vraiment sa méthode, mais que je préfère aller pêcher seul « comme un loup ». Je laisse le matraqueur dans son courant, et monte quelques centaines de mètres plus haut, loin des impacts sismiques des chevrotines de mon ami Américain.
En Amérique, il vous suffit de quelques pas pour vous retrouver seul au bord de l’eau !
Je respire enfin et savoure la tranquillité d’un courant vierge. Mazette, en voilà un beau poisson. Une grosse arc bien épaisse nymphe dans un courant limpide coiffé de vaguelettes. Je pars sur un classique : la S1, la pure imitation de larve de trichoptère jaune sale, ma nymphe céramique fétiche. Premier posé trop loin. Deuxième posé bien dans l’axe. Je distingue un éclair blanc dans la bouche du poisson en poste. Je ferre par réflexe… « Fish on ! ».
Le Stan heureux avec sa première grosse arc en N.A.V
C’est bien une arc, le moulinet en prend pour son grade. Je suis confiant sur mes nœuds, et le 0,14 mm me donne une certaine force de bridage et, en prime, je n’ai aucun obstacle sur ce lisse. J’épuise un poisson qui frise les 50 cm. Grand sourire pour ce premier poisson de la journée, ça commence bien !
Un poisson bien coloré et bien bossu !
Et comme une bonne nouvelle n’arrive jamais seule, une grosse éclosion se produit, la rivière est tapissée d’olives, et de sérieux gobages commencent à apparaître sur la berge en face. Le matraqueur se fiche complètement des gobages, il ne pêche pas en sèche.
Les ronds apparaissent sur le lisse…
Le type est fou ! Il y a au moins 5 truites de plus de 50 qui gobent sur la bordure d’en face, et lui il continue à pilonner les courants. Tant mieux pour moi. Je traverse pour pouvoir pêcher au mieux ces gobages… Je vois 5 très beaux poissons qui tournent sur la bordure et ramassent les olives. Je sors ma petite olive en taille 16 (les mêmes qu’en France !) et pose « dans le tas ».
Enchaînement de grosses truites en nymphe et en sèche, que demander de plus ?
En voilà une qui grimpe, c’est pendu. Cette fario de 54 cm m’aura donné un combat mémorable, elle m’aura faire descendre de plusieurs dizaines de mètres sur le lisse, une vraie petite bombe !
Malheureusement – sur les lisses cristallins – les truites connaissent vite la musique et s’enfuient vite quand une « copine » se fait prendre.
Je suis aux anges, un poisson à la robe parfaite, avec d’énormes battoirs, en sèche à vue. Que demande le peuple ? Je ne sais pas pourquoi, mais je sens que la journée va être bonne, en une heure de pêche, j’ai déjà pogné deux monstres à vue…
La pêche à vue dans un tel cadre fait sûrement de la South Platte River une des meilleures destinations mondiales pour la pêche à la mouche
Le matraqueur m’appelle, il a finalement touché une truite sur une espèce de chironome en hameçon de 20. En voilà une qui n’avait pas peur de se faire assommer ! Bill continue de pêcher à l’américaine, et moi je reprends mes bordures en toute discrétion.
Mon ami Bill, avec une truite prise « à l’américaine » !!
Et bien figurez-vous que la journée n’a pas continué sur les chapeaux de roue, car j’ai vu des centaines de poissons, et je me suis bien cassé les dents, je n’ai réussi qu’à faire une truite de 45 sur un lisse !
A trop regarder dans l’eau, il ne faut pas oublier de ne pas mettre le pied sur les nombreuses vipères !
Les plus petites nymphes que j’avais emmenées étaient en taille 18, et même en 10 centièmes, je me faisais refuser ou recracher sur tous les lisses… pas si facile la pêche en Amérique ! Je suis en train de prendre une leçon… Bill n’a pas touché d’autre poisson de la journée. Quelle que soit la méthode, l’après-midi n’a pas été productive… Je vais devoir méditer ce soir pour commencer à prendre tous ces gros poissons que je vois, sinon je vais manger ma casquette.
Je sais que c’est difficile à croire, mais sur les lisses, les poissons refusent toutes les nymphes supérieures à la taille 20 !
On finit la journée par un bon repas dans un « Diner’s », je goûte une spécialité américaine dont je n’avais jamais entendu parler, le « hamburger/frites », original !
Ne pas oublier de reprendre des forces…
L’Amérique étant un pays de contrastes, après avoir rencontré mon ami Bill adepte de la « nymphe lourde », je vais rencontrer Jamie – un fin pêcheur en sèche – dont je veux également vous croquer le portrait :
Jamie, l’as de la sèche
Je scrute l’eau cristalline, et les grosses arc nymphent « à qui mieux-mieux ». Je commence à avoir l’habitude, les poissons ne se décalent jamais pour saisir une nymphe, elles ont juste à ouvrir la bouche tellement cette rivière est riche en nourriture.
Les arcs, tout comme les ombres, tolèrent plusieurs passages de nymphes, mais ne se décalent que très peu, mieux vaut bien viser !
Sur le lisse à mon aval, quelques ronds percent la surface. Je reste têtu sur la pêche en nymphe à vue, et je n’ai aucune envie de passer en sèche.
Les farios de taille modeste – très gobeuses – se sont laissé prendre en sèche à vue
Tous les Américains que j’ai croisés jusqu’à maintenant ne sont d’ailleurs pas des « aficionados » de la sèche, ils ne montraient aucun intérêt pour les nombreux gobages observés les jours passés. Étonnant. Mais voilà l’exception qui confirme la règle.
Encore une « bombinette » !
En queue de lisse, je distingue un moucheur au lancer fluide, dont la ligne à l’air débarrassée des lourdes chevrotines que les Américains aiment à pincer sur leur ligne, surmontées d’un indicateur type « balle de ping pong ».
Malgré les dizaines de kilomètres de lisses, j’ai croisé très peu de pêcheurs en sèche.
Je laisse mes arc en ciel pour un moment, et observe le type avec attention, car c’est le premier réel « moucheur » que je croise. Le lancer est souple et bien décomposé, la soie n’a pas l’air trop grosse – sûrement une n°4 ou 5 – et le type commence à enchaîner les poissons en sèche.
Les paysages aquatiques du Cheeseman canyon sont vraiment envoûtants !
Caramba ! On m’aurait menti ? Je descends discrètement la rivière pour aller voir de plus près le phénomène. Je m’installe à l’aval de mon pêcheur en sèche, qui continue de « rentrer du fish », et il a même l’air de pêcher sans ardillon vu la vitesse à laquelle il décroche ses poissons.
Les arcs dépassant 40 centimètres prennent un certain temps à aller à l’épuisette en sèche en 10 centièmes…
Un élément me gêne : il cartonne en sèche, et je ne vois pas de mouches en surface, et de nombreux gobages tapissent la surface. J’accoste poliment le pêcheur « Looks like you’re having a ball on the dry fly » (on dirait que ça marche bien en sèche !). Jamie me serre la main et me raconte qu’il est un des rares pêcheurs en sèche de la South Platte River. Il déplore le fait que la plupart des pêcheurs optent bien souvent pour le trio chevrotine/nymphes/balle de ping pong. Il lance d’un air malicieux « Do you know on which fly the trouts are rising on? » (Est-ce que tu sais sur quelles mouches les truites gobent ?).
Encore un lisse couvert de minuscules moucherons…
Je lui dis que je ne vois rien en surface, mais que je suppose qu’elles doivent gober sur de microscopiques moucherons. Bingo. Il me sort sa boîte de moucherons. Et attention, quand je parle de moucherons, je pèse mes mots. Sa boîte à casiers Weathley est remplie de mouches montées sur des tailles d’hameçons comprises entre 20 et 24. Et du joli montage ! Du parachute, de l’avancé, du coq tourné, le fameux « sidisi » [CDC] ou « quoue de canawrd » [accent américain pour « cul de canard »], de l’émergente, des anorexiques, des corps en quill, en vautour…
Le genre de caillou où aiment se cacher les « grosses »
Je dirais même que c’est une « vraie petite boîte de Frenchie » au vu de la qualité des montages ! Je discute pendant un bout de temps avec mon nouvel ami pêcheur en sèche. Je le laisse choisir une nymphe céramique de son choix dans ma boîte, il me félicite car tous les ardillons sont écrasés, et il souhaiterait que ses collègues Américains fassent de même… Je recroiserai Jamie dans le canyon à la fin de la journée, il aura pris une truite en pêche à vue avec une de mes nymphes céramique… Enfin un vrai moucheur !
J’ai pris pas mal de « gueules tordues » que je n’ai pas prises en photos… Vive le sans ardillon !
Comme la nuit porte conseil, j’infuse les échecs de la journée. C’est aussi simple que ça, sur les lisses les truites regardent ma mouche sous toutes les coutures, et si elle n’est pas de taille comprise entre 20 et 24, elles la refusent systématiquement. Je n’ai pas envie de me taper tous les courants au fil graissé ou bien sous la canne, ce serait vraiment du gâchis dans ces eaux limpides. Qu’à cela ne tienne, je vais sortir le plan B.
Jour de pêche numéro 4, j’arrive décidé dans le canyon avec une sélection de nymphes céramique aux coloris naturels et également des « spots » orange et vert fluo.
les spots fluo se sont effectivement révélés très preneurs dans les courants limpides très rapides où la pêche à vue restait possible.
La stratégie va être la suivante : je ne prospecte que les courants agités et je laisse tomber les lisses. Je pêcherai les courants agités avec des coloris naturels (vert olive, jaune sale, vert ryacophile, brun et cuivre) et les courants très agités avec des spots, pour que les poissons voient passer la nymphe. Premier courant, je distingue un beau poisson, je passe ma S1 (céramique imitation porte bois jaune sale), mais le poisson ne coopère pas. Je pense qu’il ne la voit pas. Je troque ma S1 contre une S25, une belle céramique cuivre au spot orange. Premier passage, la bouche s’ouvre…Crac ! C’est dans le sac ! Le moulin siffle, la belle file sous un caillou. Je bride tout ce que je sais. J’ai droit à 3 chandelles !
En voilà un beau poisson pris avec une stratégie mûrement réfléchie…
Surtout ne pas les laisser partir sous les cailloux !
Je continue ma prospection, et je retrouve une autre « bow » postée à l’ombre d’un énorme caillou… Premier passage… Pendue ! Encore un poisson qui chandelle ! Pas un monstre, mais un poisson bien gras ! Pour information, sur tous les poissons que j’aurais pris pendant le séjour, je n’aurais jamais vu un seul poisson se décaler pour prendre ma nymphe. Il fallait impérativement que la nymphe passe assez proche de la bouche du poisson, sinon celui-ci ne faisait jamais un effort pour venir la chercher.
Encore une fario, elles adorent décidément les cuivres !
Les algues sont tellement abondantes dans ce canyon et la rivière est si peu large, que les truites ont constamment des larves qui leur arrivent dans la gueule, elles n’ont quasiment aucun effort à fournir.
Certains poissons frisaient la carrure « pisciculture »…
Un autre point intéressant que j’ai pu remarquer, est que chez la truite arc en ciel, l’intérieur de la bouche est beaucoup plus blanc que celui de la fario, ce qui permet vraiment de repérer l’ouverture de leur bouche lorsqu’elles nymphent !
En une journée sur le Cheeseman Canyon, vous pourrez voir entre 200 et 500 poissons…
Je continue à remonter la rivière en gardant ma stratégie gagnante. Cette fois-ci, un poisson est posté sur une plage de sable, avec un courant rapide, mais peu agité. Je troque mon orange spot cuivre (S25) contre une nymphe discrète classique la S1.
La S1 reste une des nymphes céramique avec laquelle j’ai pris le plus de poisson autour du monde…
Je m’approche à 4 pattes, bande l’arbalète, et c’est pendu ! Je commence à bien maîtriser mon ensemble nylon/frein/canne, et j’arrive maintenant facilement à brider rapidement les truites avant qu’elles ne prennent le courant – ou pire – qu’elles cassent le coup suivant en passant dans la vasque où se tiennent d’autres poissons !
Un problème que je n’avais jamais rencontré : une grosse truite qui s’enfuit vers une autre cuvette lorsqu’elle est piquée, et qui fait fuir une autre truite en poste !
Poisson suivant, et même histoire, les nymphes céramique font vraiment un carnage !
Tiens, voilà une fario postée en bordure, ça faisait longtemps. Elle n’est pas super-active, mais je l’ai tout de même vue nympher. Je n’ai pas changé de nymphe depuis deux poissons, la S1 (jaune) devrait encore frapper. La fario saute dessus au premier passage, elle vient rapidement à l’épuisette, encore un poisson d’environ 40 cm, ce qui est plutôt petit pour l’endroit.
Des farios sublimes à la robe « chocolat » !
Le canyon devient de plus en plus beau, mais également de plus en plus accidenté. Il faut parfois grimper sur des grandes dalles glissantes pour pouvoir rejoindre les spots amont… Attention aux serpents !
Les arcs « chandellent » également beaucoup plus que les farios…
Voilà un cas sympathique, une belle arc qui nymphe à gogo, mais dans un courant extrêmement puissant et agité. Elle ne repère pas ma S1, trop discrète avec sa couleur jaune sale. Essayons un spot orange fluo pour changer ! A peine la nymphe posée, je vois le four blanc qui s’ouvre pour moi…
Une de mes autres nymphes favorite : la S14
Il est bientôt 18 heures, la lumière du ciel m’abandonne, le froid commence à tomber, et la pêche se finit.
Commencer la pêche à 6 heures et la finir à la nuit, difficile d’abandonner le canyon !
Déception sur l’Arkansas river
Aujourd’hui, Bill veut me faire découvrir l’Arkansas River. Qu’à cela ne tienne, ça me fera voir du pays ! On prend la voiture et on se rend à l’aval d’un immense barrage.
Ambiance cactus et gros courants !
On change totalement de décor, ici c’est plutôt cactus et grand canyon ! L’Arkansas River est ici très large et très puissante, je peux oublier la pêche à vue ! Bill commence à matraquer et à courir dans la rivière, il ne touche rien. Je monte une ligne au fil graissé, en une après-midi de pêche, je toucherais 2 petites arcs…
On baisse dans les tailles…
Apparemment, le niveau est bien trop haut, et les poissons sont éparpillés… Pas de chance pour aujourd’hui, on a tenté le coup de poker en changeant de rivière, mais on a perdu !
Un sacré barrage !
Sur la route du retour, on s’arrête voir « le plus petit flyshop du monde ». Voyez par vous-même, c’est un distributeur qui propose tout ce dont vous avez besoin !
Le plus petit fly shop du monde…
Et surtout, les belles prises « polaroid » des dernières années !
Le mur photo vintage classique de tous les fly shops…
Il me reste deux jours de pêche complets, je compte bien les utiliser à prolonger l’exploration du Cheeseman Canyon. J’avais repéré la veille un coup fumant à faire : de grosses farios se tenaient juste à l’amont d’un grillage qui marquait la limite avec un parcours réservé à un club. Dès que l’on s’approche trop bruyamment de ce grillage, les truites – bien malines – s’en retournent à l’aval du grillage, en sécurité.
Voici sans conteste ma plus belle fario du voyage
Je rampe allongé sur la plage de sable, effectivement, il y a 3 poissons en activité à 1 mètre devant la grille. Elles ne m’ont pas vu et s’empiffrent de nymphes. Canne parallèle à la rivière, j’arbalète ma S3, qui ne fait qu’une dérive avant de se faire happer par une grosse fario. Je bride le poisson de toutes mes forces, mais la garce s’engouffre tout de même sous le grillage. J’insiste, et elle en ressort, je la guide vers la plage de sable pour finalement l’épuiser. C’est un beau poisson de la même trempe que la grosse fario que j’avais prise en sèche à vue, elle frise les 50 cm.
Un beau poisson que j’ai failli perdre
La journée commence bien, 10 minutes de pêche, et déjà une grosse fario dans le panier en osier numérique !
Le spot suivant est intéressant car extrêmement profond. Ma nymphe céramique H16 n’est pas assez lourde pour descendre. Aux grands maux les grands remèdes ! Je branche une L39, la plus lourde des nymphes céramique de la gamme. Je vois bien la bille chartreuse qui descend pile devant la gueule de ma cible, et c’est – encore une fois – gagné !
La collection « céramique L » a également fait ses preuves !
Je me refais au passage une belle fario d’environ 40 cm qui me donne du fil à retordre dans une vasque, elle a craqué sur la S25 (corps cuivre, tête orange).
La S26 reste également une « aimant » à truites et ombres
J’avance encore plus loin dans le canyon, et en me cachant derrière un énorme caillou, j’arrive à approcher un poisson en poste, un peu plus gros que mes prises précédentes. Le spot est rempli de cailloux, si je la ferre, je vais devoir brider sévère ! Comme prévu, le poisson saute sur ma nymphe, cette fois-ci, je tente le coup de la surprise : à peine ferrée, je la tracte violemment en surface, elle se met à rouler en surface, et se retrouve directement dans l’épuisette ! Un très beau poisson avec une caudale monstrueuse qui fait pour sûr ses 50 cm.
Cette caudale !
Une éclosion d’olives arrive avec les derniers rayons de soleil, je passe en sèche – 0,10 mm en pointe obligé, et je rentrerai deux farios sympathiques coup sur coup !
Première fario en sèche à vue…
Il me faut une heure de marche pour rejoindre la voiture, ce soir je me couche tôt, car demain c’est mon dernier jour de pêche, et je dois repartir à Denver en fin d’après-midi.
Tiens encore une petite fario avant de repartir !
Dernier jour de pêche
Pour changer, ce matin, je trouve un barbeau américain ! Je n’en avais jamais vu ! Tentons-le en nymphe ! Comme pour nos moustachus européens, il faut que ça passe bien sur le fond ! Le petit barbillon aspire ma nymphe ! Drôle d’espèce !
Barbus americanus ???!!
Sur une énorme plage de sable, je croise ce que les Américains appellent un « cruiser », c’est un poisson qui se balade en bordure. Je repère sa petite ronde, et place ma S26 sur son passage, elle vient la picorer naturellement… Quelques chandelles et la belle est dans l’épuisette !
Je finirai cette dernière journée avec trois gros poissons…
Tout d’abord, mon record de ce voyage, une 61 cm, qui viendra déloger une de ses camarades qui était en train de se nourrir, ce poisson m’a quasiment mis au backing entre les cailloux, et pourtant, j’avais troqué mon 0,14 mm contre du 0,16 mm !
Puis une autre belle à qui j’ai dû passer une fois de plus la nymphe devant la gueule… un peu tordue… ! (Pour info, depuis quelques années, plus aucun poisson n’est introduit dans le canyon, il semblerait que le mieux se renouvelle très bien naturellement).
Et enfin pour finir, sur le chemin du retour situé en hauteur, je repère une fario qui nymphe tranquillement, elle aura aussi le droit de goûter aux nymphes françaises !
Conclusion :
Mon aventure au Colorado se termine après 7 jours de pêche sur la South Platte River. Que dire en conclusion ? Si je devrais retenir une chose, c’est que c’est bon de ne pas se sentir comme un extra-terrestre quand on pêche à la mouche. Là-bas, la plupart des gens pratiquent la pêche au fouet, et au pire, même s’ils ne pratiquent pas, tout le monde sait ce qu’est la pêche à la mouche.
La pêche à la mouche est sur le même piédestal que le Superbowl ou le sport automobile aux États-Unis
C’est rassurant de voir que beaucoup de personnes portent alors un certain intérêt à la rivière.
Autre élément choquant : je n’ai pas vu un déchet au bord de la rivière ! Les Américains sont vraiment plus que respectueux et la pollution visuelle est inexistante, que ce soit au bord des routes ou de la rivière… Dans la même veine d’idées, les barrages turbinent en continu aux U.S.A, une idée simple pour ne pas ruiner le loisir pêche… Et au pire des cas, pour les barrages qui turbinent violement, une sirène retentit trois fois avant le lâcher d’eau… Je me souviens de drôles d’expériences sur la Dranse de Morzine où j’aurais aimé entendre retentir une sirène avant de voir arriver une vague dans la rivière…
Autre petit détail, au Colorado, la pêche à la mouche est enseignée comme sport à l’école, voilà une vraie reconnaissance pour notre sport favori !
La pression de pêche est énorme sur la South Platte (je dirais même pire que sur la Bienne par exemple), et pourtant c’est bourré de gros poissons… Sûrement parce qu’il n’y a aucune pollution en amont !
En France, on aime se faire des nœuds dans le cerveau sur des plans de gestions type « usine à gaz » alors qu’on n’est même pas irréprochables sur la qualité de l’eau de nos rivières…
Une fois de plus, je ne veux pas faire de polémique, ce sont juste des éléments que j’ai pu constater sur place… Et encore une fois, le contexte n’est pas comparable, les densités de population étant plus fortes en Europe, nous devons constamment jouer le compromis population/pollution.
En tout cas, la South Platte n’est pas la seule rivière à gros poissons aux U.S.A., il y en a des dizaines, et on m’a déjà fortement conseillé le Montana ou le Wyoming pour de prochaines aventures… Si vous avez diverses questions, n’hésitez pas à me contacter via mon site, je répondrai à vos messages.
Mais la vraie conclusion de cette histoire est qu’il n’y a pas forcément besoin d’aller aux États-Unis pour prendre de gros poissons, car à mon retour en France, j’ai rejoint mon maître de la pêche à la mouche – Yannick – qui m’a pris sous le nez un poisson à la carrure américaine, une truite de 62 cm en sèche à vue !
Stan
Récit écrit par Stanislas FREYHEIT, monteur de mouches professionnel, spécialisé dans la production de nymphes en céramique sur www.peche-nymphe.com