Originally posted 2013-11-09 00:00:00.
Récit d’un voyage de pêche à la mouche au Monténégro
« Pourquoi avez vous été pêcher la Moraca ? Cette rivière à été pillée par les pêcheurs à la dynamite, ce n’est même pas la peine d’y tremper une ligne« .
C’est ce que Bogdan nous apprit au bout de notre troisième jour au Monténégro. Puis Iko, le guide local nous le confirma. Et Sacha, un autre moucheur montenégrin ne voulait même pas évoquer le nom de cette rivière.
Et pourtant, la Moraca à été la première rivière sur laquelle nous avons jeté notre dévolu quand nous sommes entrés en « Crna Gora », la république du Montenegro.
Une rivière à l’image des femmes slaves : une beauté saisissante. Son cours entier est taillé dans d’impénétrables gorges qui décuplent l’envie d’aller explorer ses entrailles turquoise. Il est impossible qu’une aussi belle rivière n’abrite pas des joyaux d’ombres aux reflets magenta et des marmoratas titanesques tatouées de marbrures olive.
L’humain n’aurait pas fait ça, il n’aurait pas mutilé une si belle rivière avec des explosifs, en échange de quelques tonnes de poissons volés à vendre sur les étals de la baie de Kotor.
Eh bien si. Notre première journée d’exploration sur la Moraca nous a laissés perplexe sur la dévastation de cette rivière. De toute façon, c’était tellement douteux que le permis soit gratuit pour cette rivière, on aurait dû s’en méfier, je n’apprendrai jamais. Mais la pêche à la mouche est une passion brûlante qui a pour fâcheux défaut d’attiser le feu de l’aventure.
Alors avec Yannick et JP, on a écouté notre passion, en se répétant, « une rivière aussi belle ne peut pas être vide de poissons ».
On en voyait partout du poisson avant de descendre dans les canyons. Des gros ombres qui nymphent dans les courants, des farios à la robe d’or qui gobent sur les lisses, et des chasses explosives de marmoratas au pied des falaises.
Une fois arrivé au bord de la belle , nous y avons tous mis notre meilleure pêche à la mouche. Je signerai un capot pour ce premier jour, mais JP et Yannick auront été plus malins. JP avait repéré un gros ombre, et il ne l’a pas lâché. Il a apparemment craqué pour un gammare tungstène, classique. Yannick aura dévoré des kilomètres de rivière, il n’aura vu qu’une truite, qu’il aura bien sûr amenée à l’épuisette.
Nous nous retrouvons finalement ensemble sur le spot amont encaissé dans un talus à flanc de champ. Encore un spot hallucinatoire. Une piscine émeraude coule sur un fond de granit marbré. » Il y a trois poissons de plus de cinquante centimètres au fond de ce pool » me lance Yannick, juché sur la cornière. Mais les gros ombres sont bien trop profonds. Ils sont plaqués à au moins trois mètres, et ne lèvent même pas les yeux pour manger. Pire que des barbeaux vexés. Même les plombs peints sur du huit centièmes n’atteignent pas leur niveau. Il nous aurait fallu un Marcel Roncari ou un Bertrand Jaquemin pour berner ces poissons. Je ne sais pas comment ils les auraient pris, mais ils y seraient arrivés.
Le coup du soir tombe, et les insectes brillent par leur absence.
L’ambiance est géniale, mais il va falloir prendre une sérieuse décision pour la pêche.
Le lendemain, nous consacrons la journée à la rivière Tara. Mais pas possible de pêcher la section sur laquelle nous avons jeté notre dévolu. C’est apparemment une partie protégée du parc national pour les étrangers, mais pas pour les locaux, les « toxiques » comme les appelle JP, qui viandent à cœur joie.
Je n’ai eu que des mauvais échos sur la rivière Tara, alors ne nous laissons pas envoûter une fois de plus par la beauté de la rivière, et soyons efficaces. Nous décidons donc de partir vers Plav, pour rejoindre la fameuse rivière Lim.
Comme nous sommes en voyage « semi organisé », nous devons nous débrouiller seuls pour trouver les permis.
Un petit coup de fil au guide local, et on se retrouve tous dans un bar autour d’une « pivo » bien fraîche. Iko, le président de l’association locale est très sympathique, il commence par nous faire un grand cours d’écologie en nous expliquant que les poissons à nageoires violettes sont des ombres, et que ceux qui ont des points sont des truites. Il nous explique ensuite comment pêcher en sèche. Sans vouloir lui manquer de respect, nous écoutons son discours d’accueil, mais on bouillonne tous d’envie d’aller à la pêche. Moi je ne tiens plus en place, j’ai envie de sauter dans mon wader, et Yannick est encore pire que moi, il demande toutes les cinq minutes si on peut acheter le permis. Il commence à nous montrer des photos de gros ombres, et Yannick perd le contrôle, il insiste encore plus pour aller à la pêche rapidement. JP est bien plus respectueux que Yannick et moi, il sirote sa bière tranquillement. On insiste vraiment pour avoir le permis avec Yannick, on dirait deux gosses capricieux dans un magasin de bonbons… Enfin, ce n’est pas pour manquer de respect à nos amis monténégrins, mais on a peur que le guide « nous la fasse à l’envers », et nous oblige à payer un permis très cher.
Malgré notre insistance, il ne veut encore pas nous délivrer les permis, il doit nous expliquer encore beaucoup de choses. Je vois Yannick qui redouble d’impatience, moi je serais capable de monter ma ligne sur la table du bar tellement j’ai envie d’aller pêcher. Le cinéma continue, nous prenons notre mal en patience. Une Mercedes noire se gare devant le bar, puis voilà un deuxième protagoniste qui entre en scène. Cheveux gominés, gueule cassée, la clope au bec. « Ca y est, voilà l’homme de main, on va se le prendre en force notre permis à 100 euros de la journée », mes pensées malsaines s’amplifient. Ce brave type, avec ses airs de tueur à gage, est en fait le gardien du parcours. Iko nous remet une tartine en nous expliquant que ce gentilhomme nous montrera les limites amont et aval du parcours.
Finalement, il sort le Saint Graal : un carnet de permis, qu’il nous délivre au prix de 20 euros la journée.
J’ai vraiment été trop bête une fois de plus de croire qu’ils allaient nous assommer sur le prix des permis, mais il faut dire que la mise en scène nous le laissait supposer. Ce sont en fait de vrai amoureux de leur nature qui veulent vraiment éduquer les pêcheurs.
On arrive enfin sur le parcours de la Lim. Somptueuse, elle s’étire paisiblement dans des bosquets encaissés, sur un fond de montagne. La vraie carte postale des Balkans. C’est une grande rivière avec des lisses qui s’avalent dans des courants diffus, donnant parfois naissance à des îles. Il fait un bon 38 degrés, et on nous prend pour des fous d’aller pêcher à cette heure-là. « Il faut attendre le coup du soir » nous répète le guide. Passer l’après-midi à boire du raki et fumer des clopes devant ce paysage de rêve, ou faire la sieste dans l’herbe ? Jamais ! Peu importe la température, les ombres m’attendent. Je m’habille à tout vitesse, et court à la rivière. Fidèle à ma réputation de chien fou, je traverse pour rejoindre les meilleurs courants. Mes chaussures de wading glissent, je manque de m’étaler plus d’une fois, JP et Yannick sont morts de rire et admirent le chien fou en action. C’est que même à l’étiage, elle envoie du lourd la Lim ! J’étais surpris de la puissance des courants à certains endroits… Peu importe, me voilà isolé sur un joli bras de l’ile. Je commence à bananer ma belle nymphe bille or (je ne pêche qu’avec des billes or…) loin dans les courants. C’est bon de se sentir parmi les ombres. Partout où ils existent sur terre, de la Laponie au Monténégro en passant par le Canada ou la Mongolie, on arrive toujours à trouver ces fameuses vaguelettes qu’ils affectionnent tant. Et d’ailleurs, mon indicateur (un joli sedge en chevreuil) passe justement dans une zone qui a l’air très prolifique. Je m’annonce à moi-même « là c’est poisson ! ». Et mon joli sedge s’enfonce. Et cette même sensation que Karel Krivanec décrit dans son livre (Czech nymph and other related fly fishing methods) revient une fois de plus. Quelle est cette étrange créature qui a voulu de ma mouche ? Le fond de la rivière est d’or et les herbiers sont d’émeraude. Un joli étendard monténégrin apparait soudainement, il arbore sa belle tache violette. Epuisetté, mais pas épuisé, il bouge vigoureusement, l’hameçon sans ardillon se décroche de lui-même. Un joli cliché et il repart. Moment magique sous l’œil des belles montagnes. Grande satisfaction, rien ne peut gâcher l’instant. Mais le florilège ne continue pas, et il devient plus difficile de faire prendre ses copains. Je sors alors ma meilleure méthode de nymphe tchèque pour les petits courants qui chatouillent les berges grasses de calcaire, et j’arrive à dégoter d’autres thymallus monténégrins.
Tout le monde mange bien au Monténégro, ces poissons sont dodus à souhait et assez combatifs tout de même.
Je retrouve Yannick plus tard. Lui s’est fait un parcours beaucoup plus à l’aval qui n’a pas été très productif, car il présente un faciès peu intéressant pour les ombres.
De gros blocs et des courants d’écumes très violents. Mais je connais Yannick, il va vite se rattraper. Nous nous retrouvons pour le coup du soir sur un grand lisse limpide. Moment magique où l’on peut observer les créatures qu’on aime, et discuter avec les amis qu’on aime encore plus. Yannick remonte vite le niveau et se fait une belle truite à vue.
Classique, plus rien ne m’étonne. L’éclosion commence, et on se casse tous les dents ! JP et Yannick sont pourtant de très bon pêcheurs en sèche, et je les vois galérer. Moi j’ai arrêté après 3 modèles refusés, je n’ai pas leur persévérance en sèche, mais je les observe.
La journée se finit à 2 ou 3 ombres pour chacun au compteur….. J’adore l’ambiance, mais on aura fait mieux en France !
Iko nous rejoint, et c’est à moi de lui faire un cours de biologie. Il m’explique qu’il n’y a pas de gammare dans la rivière Lim. Alors moi je lui explique que je vais prendre un ombre avec un gammare, même si il n’y en a pas. Sitôt dis, sitôt fait. Je repère un étendard en poste. A peine le gammare posé qu’il fonce dessus. « Ça doit faire un siècle qu’il n’a pas vu de gammare celui-là ». Iko est bluffé. C’est un très joli poisson qui vient à moi, avec des contrastes de couleurs vraiment saisissants.
Cette après-midi, nous essayons la Ljunca. Un chalkstream hallucinatoire qui trace son cours profond et bleuté dans les entrailles des prairies balkaniques. La rivière ressemble à un canal, mais avec un charme naturel. La pêche est seulement possible jusqu’à environ 2 mètres du bord, parce qu’après, c’est le grand bleu, la rivière plonge jusqu’à 7 ou 8 mètres de profondeur, le repère des trophées que l’on ne verra jamais en bordure…. Difficile de faire des poissons… C’est vraiment la canicule aujourd’hui, et j’aurais dû écouter les consignes du pêcheur local. JP utilise une expression pour désigner tous les viandards qui tordent du poisson à outrance, il les appelle les « toxiques ». Je trouve ce terme très bien choisi, et très réaliste. Je rencontre alors un toxique Monténégrin sur ma berge.
« Tu sais, aujourd’hui il fait trop chaud pour pêcher à la mouche, tu devrais pêcher au vairon comme moi, regarde ce que j’ai pris ». Il me sort son sac plastique avec deux truites de lac en train de faisander dedans…
« Et quand les conditions sont bonnes, tu devras pêcher avec cette mouche là ». Il me sort une belle boîte en me détaillant quelles mouches utiliser à quelle saison. Je me suis pris une bonne leçon de pêche par un type que l’on peut considérer comme « ultra toxique », car il viande aussi bien à la mouche, au ver de terre ou à la cuillère. Quelle culture pêche dans les Balkans ! Vivement qu’ils passent tous au no kill !
Ce soir on finit tous par se retrouver par un coup du soir sur le lac. Le paysage est génial, et je n’avais jamais pêché de spot aussi original, les ombres gobent dans la langue d’eau de la Ljunca qui se meurt dans le lac. J’arrive même à mettre une fessée en sèche à Yannick, cela ne m’arrive pas souvent !
Je lui donne même le bon sedge pour qu’il prenne un peu de poisson…. Super soirée complète de bière et de bonne bouffe. Encore un wagon de femmes charmantes qui passe… Je crois que je deviens amoureux des Balkans !
Le lendemain, Yannick et JP décident de se faire le coup du matin sur le spot de l’arrivée de la rivière. Moi je pionce ! Ils reviennent me chercher vers 9 heures. Et JP a encore pété un record ; j’avais dit que je lui payais le resto si il prenait un plus gros ombre que moi dans le séjour. Je peux sortir le portefeuille puisqu’il a en photo dans son appareil un tonton de 48 cm. Et en sèche s’il vous plait !
Le lendemain, nous explorons une partie de la Lim que l’on peut pêcher sans permis. Sans surprise, nous ne prendrons rien.
Nous descendons alors vers les lots de la ville d’Andrevijka, rejoindre Sacha, notre guide Monténégrin qui a beaucoup de ressemblance avec un très bon pêcheur Français.
J’ai acheté le chapeau qui prend des gros ombres, apparemment ça marche !
La rivière est plus large ici mais les ombres sont plus petits… Nous accrochons quelques arcs, et je ronchonne d’être venu dans des si beaux endroits pour prendre des saucisses sans nageoires … Enfin JP en fait quand même une mémorable.
Passage dans le magasin de pêche local : le type était en train de se fabriquer des mouches à mettre en potence, au dessus de son « stylo plomb de 10g ».
A mon avis, celui là, il devait faire mal sur les ombres dans les courants, surtout qu’il pêchait avec 5 nymphes au dessus du « stylo plomb agitateur ».
Les ombres empaillés laissent rêveur….
Pour le dernier jour, nous retournons sur les lots les plus productifs de la Lim. Le ciel qui se couvre nous offre des conditions plus clémentes pour réaliser de belles pêches, et nous faisons tous des poissons honorables. Yannick excelle à vue comme d’habitude. Son plus gros ombre est beau et gras.
Le voyage touche à sa fin, nous longeons une dernière fois les mystérieuses gorges de la Morača.
Bilan mitigé… Pour être honnête, j’ai adoré les paysages, la culture, la bouffe, les gens… mais au mois de Juillet, j’aurais pris plus de poissons en France. Mais j’ai tout de même adoré ce voyage même avec une faible quantité de poissons pris (entre 2 et 4 par jour). Il faut bien préciser que nous étions dans des conditions d’étiage sévère, et que ces périodes ne sont jamais représentatives. Le printemps et l’automne sont beaucoup plus productifs, j’ai vu de nombreuses photos qui en témoignent.
Ce voyage m’a dans tous les cas fait adorer les Balkans, et je vais y retourner incessamment sous peu pour de nombreuses raisons.
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