Voyages pêche

Les plus belles truites du monde

7 juin 2001

Les plus belles truites du monde

La rivière qui abrite les plus belles truites du monde est la Bow river.

Cette rivière de l’Alberta au Canada traverse Calgary (ville Olympique de 750 000 habitants). Malgré la proximité de cette grande ville, l’eau n’est pas polluée et les truites sont nombreuses en aval de Calgary. La réglementation protège efficacement une superbe population de poissons sauvages de grande taille (double taille et nombre très limité de prises par jour).

Le régime de la rivière est de type nival avec hautes eaux en juin et juillet. Sans grands barrages, le débit est naturel ce qui rend la pêche moins artificielle que sur les « tailwater fisheries » américaines surmédiatisées. Prendre un poisson trophée à la mouche est toujours un challenge intéressant surtout sur la Bow ou les chances de succès sont réelles.

Nous vous invitons pour vous en convaincre à lire ou à relire ce récit d’un fabuleux coup de soir réalisé sur la Bow.

 

Attraper une grosse truite n’arrive jamais par hasard. Depuis trois jours que nous fréquentions cette rivière, nous n’avions fait que du menu fretin. Certes, un après-midi alors qu’une tempête se déchaînait, nous avions bien capturé une bonne dizaine de truites chacun dont certaines dépassaient 40 cm. La pluie avait fait sortir les sedges et plusieurs heures durant, nous avions eu la chance de pêcher des gobages ; chose inespérée à cette saison. Certes, nos premiers coups du soir nous avaient aussi apporté leurs lots d’éclosions, de gobages et de truites.

Mais nous n’étions pas venus pour ça. Nous voulions nous mesurer à des poissons dignes de ce nom : des poissons trophées de plus de 50 cm. Alors, comme des écoliers studieux, il a fallu refaire nos gammes, réfléchir, chercher.Première constatation, nous n’avions pas respecté la rivière.Trop impatient d’en découdre, nous nous étions jeté à l’eau sans retenue,et nous avions pêché jusqu’à nous rendre ivres. Stupide calcul, il n’était plus l’heure de pêcher, il nous fallait prendre de grosses truites. Notre technique était au point pas besoin de le vérifier.

Dans notre envie de victoire, nous avions oublié l’essentiel : le respect et l’amour. Choquée, la rivière ne s’était pas livrée. Il a donc fallu observer, écouter, analyser, comprendre. Nous sommes arrivé à la conclusion que sur une rivière de cette qualité, aussi large, il y avait obligatoirement des gros poissons mais qu’ils devaient être localisés.

pêche à la mouche
Au centre du lit, le courant puissant et sinueux

« S’il y avait un gobage de poisson trophée, ce serait là … »

Que d’heures passés en ces chaudes après-midi d’août à transpirer dans des wadders trop lourds pour explorer, sonder le fond, visualiser la vitesse du courant, la topographie des fonds et choisir l’Endroit. Mon choix était fait, ce serait là, en tête d’une petite île. Sur la droite, un calme peu profond oû toujours quelques truites de taille modeste gobaient.

Idéal pour tester les mouches et échouer les prises. En amont, un long courant qui léchait une rive abrupte impêchable sans bateau. Le refuge parfait pour quelques mémères. Au centre du lit, le courant puissant et sinueux. Tout cela convergeait vers un point situé à une vingtaine de mètres en amont de l’île. S’il y avait un gobage de poisson trophée, ce serait là, dans 80 cm d’eau là oû le courant a la vitesse idéale pour intercepter un sedge. Pour en avoir déjà pisté plus d’une, je savais que la grosse ne goberait que deux ou trois fois. Je n’aurais qu’une seule occasion : si je n’étais pas au top, je passerai encore à coté. Les gros poissons se méritent. Cette après-midi, j’avais passé du temps à refaire tous les n?uds, graisser le moulinet, vérifier le backing… J’étais arrivé sur le poste deux heures avant la nuit.

A droite, le calme; en face la falaise et au centre, le poste idéalJe m’étais fait la main sur quelques gobages dans la première demi-heure puis avais cessé toute activité. Dans l’eau, immobile et silencieux, je dédaignais les ronds qui se produisaient ici et là. Je sentais la présence du poisson de mes rêves à dix mètres de là. C’est la distance idéale lorsqu’on pêche la grosse truite.

Le premier lancer doit être le bon. Plus prêt, on risque de l’alerter et plus loin, la précision peut faire défaut. Je savais quelle chassait ces sedges dont l’éclosion avait débuté une demi-heure avant que le soleil ne passe derrière la colline. Au début, elle était prudente elle n’y croyait pas. Toutes ces larves s’agitant en même temps, il devait y avoir un piège. Puis voyant toutes ces congénères s’alimenter, elle avait succombé. Près du fond au début, par de brefs déplacements elle a intercepté quelques nymphes.Puis, l’appétit venant en mangeant, elle s’est aventurée de plus en plus loin de son poste. Puis de plus en plus près de la surface.Les autres truites plus petites gobaient déjà depuis longtemps ces insectes qui sautillaient en surface avant de s’envoler. Elle avait appris à s’en méfier depuis son plus jeune âge.

pêche à la mouche
La beauté à l’état pur ?

Patient, je ne m’étais pas laissé distraire par les premiers gobages réguliers qui marquaient le début du coup du soir proprement dit. J’avais même résisté à la tentation de lancer vers cette belle truite du kilo qui gobait sans retenu à cinq mètres de moi. Je n’avais pas fait tous ces efforts pour elle. Puis, emporté par la frénésie alimentaire qui gagnait la rivière entière,le dos large de ma truite avait crevé la surface. Elle nymphait juste sous la pellicule. Je lançais ma mouche un mètre en amont et comme dans un rêve, elle disparu à la deuxième montée de ma truite. Combien de fois, au cours de ma vie de pêcheur avais-je attendu ce moment en vain jusqu’à la nuit, repartant de la pêche frusté avec le moral à zéro pour quelques jours? Combien de fois avais-je ferré dans le vide faute d’avoir la bonne mouche? Combien de fois avais-je cassé pour avoir confondu La Truite avec quelques unes de ses semblable de moindre importance, privé de lucidité d’avoir pêché mécaniquement pendant des heures? Mais ce soir, j’avais tout prévu. La mouche était un sedge émergeant mis au point par mes soins sur une période de cinq ans. La mouche infaillible sur les émergences de sedges presque partout dans le monde tant j’avais confiance en elle.

Pas un seul point rouge, de larges tâches noires irrégulières et auréolées de blanc qui descendent bas sur les flancsJ’avais conservé tout mon influx en ne pêchant pas les autres poissons. La taille de l’hameçon n°16 était mon seul soucis. Cela m’avait obligé à mettre un 14 centièmes en pointe. Mais compte tenu de l’absence d’obstacles et de la présence du calme dans lequel j’avais décidé de l’amener, j’étais serein. Elle n’avait pas bronché au coup de poignée. Sûre de sa force, elle s’était juste contenté de regagner le fond. Quelle sensation délicieuse que de sentir sa canne vibrer dans le courant. Quel bonheur que de douter d’être accroché après quelques cailloux, puis de sentir cette « souche »; gagner cinquante centimètres vers l’amont. Est-ce le fil qui fend le courant, la lourdeur du talon de la canne contre la paume de la main ou encore ou la vision de ce frêle bout de carbone prêt à se rompre?

Les grosses truites donnent rarement des coups de têtes lors des premières minutes de combat. Elles partent en force, sans s’affoler dans un courant plus puissant. Celle là n’a pas fait exeption à la règle. Elle a gagné l’amont vers une eau plus profonde. Idéalement placé pour la déséquilibrer, j’ai simplement opposé une résitance. Elle n’a pas pris plus de 8 à 10 mètres de soie. Puis, tout en douceur mais avec fermeté, elle s’est laissée guidé vers la limite du calme. Ce qu’il faut craindre le plus avec ces poissons, c’est l’explosion lorsqu’ils ont compris que leur stratégie de résister en force n’aboutira pas. Au premier saut, j’ai compris que je tenais mon poisson. Une fario puissante, large et trapue. Au deuxième saut, j’ai saisi que la partie tournait à mon avantage. Plus mollement, sur le flanc, le corps de la truite ne s’était élevé dans les airs que de quelques centimètres. Elle faiblissait. Puis elle s’est abandonnée.

Châtiée, elle a glissée vers cette plage au courant calme. Quelle beauté. Pas un seul point rouge, de larges tâches noires irrégulières et auréolées de blanc qui descendent bas sur les flancs. Un petit coup de camescope pour les souvenirs et une longue séance d’admiration. Que cette truite était belle. 50 centimètres juste. Le contrat était rempli et tous mes efforts enfin récompensés. Sa robe ajoutait à la carrure exceptionnelle de son corps large, rond, parfaitement conformé. La croissance sur cette rivière devait être rapide. Comme si elle voulait se faire admirer, ma truite est restée un long moment dans 15 cm d’eau à reprendre ses esprit. Puis, nonchalamment, elle est retourné dans un courant protecteur.

pêche à la mouche
C’était donc ça, elle avait un circuit

Ces grosses bêtes mettent beaucoup de temps pour refermer la bouche

Il n’était finalement pas si tard que ça. Détendu, je remontais me placer idéalement au cas oû. L’esprit encore embrumé des parfums de la capture précédente, j’ai bien failli ne pas voir ce gigantesque remous qui s’était produit à 15 mètres en amont. C’était à coup sûr un autre très beau poisson. Peut-être encore plus gros. En plein dans l’axe, je n’étais pas à l’aise. Le lancer n’avais rien de difficile mais la dérive était traitre. La vitesse de l’eau s’accélérait au fur et à mesure qu’elle arrivait vers moi. C’était le dragage assuré pour tout posé non détendu. Aussi vite que possible, j’ai lancé sur le poste.

Un passage, rien. Deux passages, rien. Puis un énorme remous un mètre plus en amont et 50 cm plus à droite. Correction immédiate de la trajectoire de la soie, posé travaillé pour éviter le dragage et l’attente. Cinq, dix lancers sans succés. Puis la truite est remontée toujours plus loin et plus à droite. C’était donc ça, elle avait un circuit. Les grosses gobent seulement trois fois. Je savais que mes chances de faire un doublé étaient désormais quasi nulles.

Encore une fois, j’étais passé à coté d’une grosse truite pour m’être déconcentré avant la fin. Ce soir qui aurait du être un soir de fête venait soudain de se transformer en échec. N’ayant plus rien à perdre, je lançais non plus sur le dernier gobage mais à l’endroit supposé du prochain. Et comme par magie, au troisième passage, ma mouche a disparu dans l’énorme remous. Le plus étonnant, c’est que je n’ai pas ferré instantanément.

Sitôt l'hameçon décroché, mon record bondit vers l'eau... Totalement serein, j’ai compté dans ma tête un, deux et slaghhh. Ces grosses bêtes mettent beaucoup de temps pour refermer la bouche. Elle est partie dans la veine centrale à 10 mètres de là en plein courant. Nous sommes resté de longues minutes sans reprendre ni l’un ni l’autre le moindre centimètre. Puis, imperceptiblement elle est revenue vers le bord. J’ai réussi à la tracter dans le calme. Lorsqu’elle a compris, il était trop tard. Sa force ne pouvait plus rien dans ce petit bras sans courant. Dès que je l’ai vue, j’ai remarqué la bosse qu’elle avait derrière la tête. Ses épaules et son dos large la faisait ressembler à un carpe ou une truite de mer. Sa queue fine et sa petite tête indiquait une croissance rapide.

Pas de points rouge non plus pour cette fario tout en muscle. Un rapide coup de mètre m’indiqua 55 cm. Record de l’année dernière égalé pour la taille mais battu pour le poids. Sitôt l’hameçon décroché, mon record bondit vers l’eau, semblable à une otarie qui part en chasse. Longue vie à toi superbe truite. Sans aucune discussion possible, je venais de rencontrer les plus belles truites du monde, de réaliser le plus beau coup du soir de ma vie et de comprendre que prendre des grosses truites n’est jamais le fruit du hasard. Il faut respecter, aimer la pêche, la rivière et les truites. Il faut tout prévoir, avoir intégré les échecs précédents et avoir dépassé la technique.

Cela est l’aboutissement de centaines d’heures de passion. Certains parlent d’art. Nous sommes revenus voir la rivière aux plus belles truites du monde trois semaines plus tard. J’ai à nouveau fait le plus beau coup du soir de ma vie : quatre poissons dont le plus petit faisait 47.5 cm et le plus gros 57.5 cm, toujours avec mon sedge émergent en pêchant des gobages. Pourrais-je encore aimer la pêche si fort qu’un jour je referai de telles parties de pêche?

P.S : il existe certainement des endroits que vous fréquentez oû les truites sont encore plus belles. Mais je ne les connais pas.

Ecrit par Frédéric Serre

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