L’enfer vert ? Un paradis moite pour la pêche, peuplé de poissons trophées nageant dans des eaux noires, et partout autour, la jungle oppressante, bruyante et bruissante de milliers d’animaux. Le streamer s’est posé non loin de paires d’yeux qui vous scrutent…
Un récit de Christophe Douziech de retour de la jungle brésilienne.
Le vacarme du moteur cesse enfin. La pirogue quitte la rivière et entre dans la forêt inondée. Elle se glisse entre les troncs innombrables. Chocs, grincements alors même qu’elle les frôle, les heurte. Ils gisent en tous sens, tapissant les fonds obscurs. Je tente de m’imaginer seul à la tombée du jour, ici…
Il est tôt, la frange orangée des cimes jure sur le vert omniprésent. Des couples de perroquets amazones s’alertent de notre intrusion. Une stridence continue d’insectes comme une paroi invisible semble garder les entrées du dédale. Par intermittences, des appels rauques, gutturaux: le mâle d’une bande de singes hurleurs, fier en son royaume arboré, nous signale.
Le niveau des eaux a encore baissé. Sous peu, ce morceau de jungle ne laissera plus pénétrer personne. L’eau se retirant désormais, tous les poissons vont se voir contraints de vivre plus dangereusement encore…
Une bonne heure se passe à louvoyer dans ces corridors, à se courber, à sortir la hache et à tronçonner parfois pour atteindre cette « lagoa » dont notre « barqueiro » nous a vanté les richesses. Un méandre secondaire, bientôt coupé de la rivière pendant de longs mois;
A tour de rôle …
L’ami Gabor fixe une nouvelle mouche, montée la veille. L’espoir qu’elle ne soit pas attaquée prématurément par les pirais aux dents rasantes…
Peut-être, sommes-nous les premiers pêcheurs au fouet à venir ici.
J’aime pêcher avec Gabor, il est très efficace et analyse sans cesse les situations. Un passionné, calme, réfléchi. Chez lui, en Hongrie il s’est spécialisé dans la recherche des brochets où il excelle.
Loin de Budapest !
Utilisant ses mains en appeau, notre piroguier attire les jacarés. Des grognements sourds auxquels ces derniers répondent en écho.
Un spécimen à l’orée des bois
Frustré de ne pouvoir s’emparer du poisson…
Mon streamer porte une collerette agressive en marabout, cœur de brasier dans cette eau louche. Elle est très mobile, lestée par de gros yeux d’ours pelucheux. Ainsi, elle descend, vulnérable, proie aisée à engloutir. Une belle mouche, montée pointe vers les cieux pour se jouer des obstacles car c’est dans ces fouillis de branchages, d’arbres immergés qu’il faut la placer, l’animer. L’eau libre est périlleuse, les poissons restent à couvert près des berges.
Lancer sans cesse, dans des fenêtres étroites, sans gestes inutiles, pour durer, dans la moiteur, la sueur brûlant les yeux et, certains jours où le couvercle du ciel pèse, de petits diptères nous suçotent le pourtour des yeux et agacent nos nerfs. J’expérimente le supplice du bétail les jours d’été…
Arracher poser
Aujourd’hui, dès les premiers lancers, nous trouvons très vite les poissons, ces« peacock bass ». Ici on les désigne sous le nom tupi de « tucunarés ». Le poisson aimant les bois, on peut mieux dire… On en prendra plus d’une quinzaine sur ce premier exutoire de chenaux.
Le streamer disparaît, une tirée de ligne et c’est la touche, violente, brutale. On tire à l’opposé pour éviter les ennuis car on tombe aussi sur des spécimens plus forts. Alors la pointe en 60 centièmes n’est pas de trop pour tenter de les contenir… Le poisson parvient même à rompre un tel diamètre aussi incroyable que cela puisse paraître. Une canne pour soie de 10 peut y abandonner sa poignée… A la verticale du bateau, de tels risques augmentent indéniablement.
Tucunaré acu pour l’ami Charly
La matinée avançant, la frénésie des tucunarés s’accroît. Borboletas, popocas, pacas et açus, tous mêlés dans leur avidité, poursuivent et interceptent nos simulacres de poissonnets.
Tucunaré borboleta
Tucunaré popoca
Tucunaré paca
Poser, remous et contact immédiat. Nous devenons des mécanismes, reptiliens, prédateurs.
Les mouches attaquées sans relâche depuis plus d’une heure, nous nous regardons incrédules. Combien sont-ils dans ces bois? Le nombre de captures devient obscène.
La veille, nous devions relâcher nos prises au plus près des berges. Des souffles puissants nous faisaient retourner, des remous énormes…
Des dauphins. Rusés, opportunistes, surgissant du dessous de la pirogue et happant nos prises du bout du bec au ralenti. Le cœur s’emballait, la canne pliait puis reprenait une courbe prudente lorsqu’ils daignaient les relâcher.
Les dauphins sont nombreux sur le Negro et ses affluents, ils profitent des pêcheurs sportifs…
Intense chaleur qui nous freine puis nous arrête. Chercher l’ombre d’un layon et s’allonger dans le hamac. L’air semble être un tissu collant. On se tait et on tente de s’assoupir. Il fait pas loin des 40°…
Il arrive que l’on se laisse aller aux délices de l’immersion pendant la pause méridienne…
Plus tard dans l’après-midi. Nous repêchons la berge ombragée sur les conseils d’Augusto. La mouche à peine attisée fait jaillir de leur retraite sombre les poissons et je peux les voir aspirer le streamer
Nous faisons plusieurs doublés. Les tucunarés sont rarement seuls et le premier poisson ferré déclenche la convoitise d’autres brigands de la bande…
Ce jour-là nous prendrons plus de 300 tucunarés pou 4 cannes à mouche…
Philippe et Charly combattent eux aussi de beaux poissons, les guides sont satisfaits…
La vitesse avec laquelle les poissons attaquent le leurre semble corrélée à la température des eaux, plus de 26 degrés !
Sur le Negro le record du plus gros açu à la mouche est de 12 kg…Il fut pris il y a de çà une quinzaine d’années par un moucheur germanique qui passait plusieurs mois à la recherche des poissons trophées..
Parfois, nous prenons d’autres créatures. Des oscars papagayo, à la défense époustouflante eu égard à leur taille, des bicudas aériennes ou des piraïs aux mâchoires redoutables…
oscar papagayo
autre espèce d’oscar
La lutte engagée avec cet açu , les piraïs l’attaquèrent et lui arrachèrent des morceaux de nageoires…
Bicuda,
Soudain, dans une anse encombrée, je ferre ce qui semble être un grand reptile que je ramène curieux au bateau. Je ne pourrai saisir l’unique aruana du séjour, un poisson chassant dans les airs, se saisissant d’insectes posés sur les branches…
Le soleil descend inexorablement, nous sommes loin, encore deux bonnes heures de navigation. Il nous faut franchir de nouveau le dédale de l’iguapé pour retourner à bon port…La douche, la bière fraîche et les caipirinhas nous attendent…
Le crépuscule ne dure que quelques instants, la nuit, telle un couperet, s’abat.
Nous avons pris beaucoup de poissons aujourd’hui. Les pêcheurs aux leurres n’ont jamais connu semblable journée.
Le repos s’impose. Demain d’autres visions, d’autres poissons…
Le gîte si appréciable après de telles journées..
Ce voyage n’aurait pu se faire sans le travail préparatoire de Philippe, alias Flymazon.
Résidant sur place, au Brésil, il sut trouver le bon équipage Les multiples expéditions qu’il a montées depuis des années en Amazonie lui donne une connaissance et une maitrise de la pêche dans ces eaux si particulières.
Je vous conseille de visiter son site : www.flymazon.com et si vous vous décidez à tenter la pêche en Amazonie à la mouche, contactez-le…
Une réservation précoce des vols permet de substantielles économies. J’ai utilisé les compagnie TAP pour les vols internationaux et la compagnie brésilienne low cost GOL pour les vols intérieurs jusqu’à Manaus. Compter environ un peu plus de 1000 euros pour ces quatre vols.
Depuis Manaus il faut encore voler plus d’une heure pour atteindre Barcelos en petit monomoteur. Ce vol intérieur est compris dans le forfait pêche .
Les transferts Manaus/Barcelos. s’ effectuent très tôt en journée.
Barcelos possède deux ou trois petits hôtels basiques. 99%, sinon plus, des pêcheurs y débarquant sont brésiliens et pêchent aux leurres, de grands poissons nageurs aux couleurs très agressives.
Un seule échoppe où l’on trouve des leurres d’occasion , cadeaux des pêcheurs aux barqueiros qui les revendent ensuite … On peut y trouver donc d’excellents modèles à des prix imbattables, du 80 centièmes et de gros hameçons pour la pêche des énormes moustachus hantant les berges concaves des rivières !
C’est un bourg amazonien devenu la capitale mondiale de la pêche du tucunaré encerclé par l’immense forêt et seules les liaisons fluviales ou aériennes permettent de s’y rendre. Les rares routes et autres chemins s’interrompent assez vite aux alentours…
Rio Negro aux îles innombrables…
Le tucunaré est le poisson favori des pêcheurs sportifs brésiliens. De nombreux clubs participent à des tournois à travers le pays.
La pratique de la mouche devrait se développer dans les années futures. Nos collègues brésiliens nous voyant pratiquer vont sauter le gué et s’y mettre …La pratique de la graciation des prises est désormais bien entrée dans les mœurs chez nos confrères brésiliens. Une chaîne spécialisée de pêches sportives valorise cette pratique.
Rue principale de Barcelos…
Le choix des affluents à pêcher suivant les niveaux du Negro conditionne la réussite ou l’échec de la pêche. Un bateau au faible tirant d’eau procure une aisance pour accéder à l’amont des zones là où la pression de pêche est plus faible. Nous étions 8 pêcheurs, quatre « moucheurs » et quatre pêcheurs aux leurres dont deux brésiliens. Nous nous connaissions déjà pour avoir pratiqué en Amazonie brésilienne au cours de voyages antérieurs.
Nous avons connu des journées de plusieurs centaines de prises, la mouche marcha très fort !
Christophe Douziech