Originally posted 2017-01-06 00:00:00.
De retour sur les terres maories après deux ans d’attente et d’économie, nous passerons cette fois-ci 3 mois et demi sur « la terre au long nuage blanc » avec ma compagne. Au programme cette année : randonnées en montagnes, observation des cétacés, visite du pays et de ses parcs naturels et…pêche à la mouche. Rassurez-vous, vous serez dispensés de la description des trois premières parties du programme (pourtant passionnantes) pour ne nous intéresser qu’à la dernière : la quête des grandes truites à la mouche.
Pour ce faire, nous passerons un mois sur l’île du Nord et deux mois et demi sur l’île du Sud où les amis David et Philippe viendront me prêter main forte pour traquer les brown trout ainsi que Bich qui nous régalera de spécialités vietnamiennes tout au long du séjour.
Sur l’île du Nord, les rainbows (truites arc-en-ciel) représentent les 2 /3 des populations de truites et sont connues pour leur défense, leur taille et leur beauté hors du commun.Quelques lacs sont alevinés à partir des souches « Rotorua » et « Taupo », par contre dans les rivières on a affaire uniquement à des poissons sauvages issus d’alevinages effectués au début du siècle dernier, ces poissons n’existant pas à l’origine dans ce pays. Voici un petit aperçu de leur pêche…
Après avoir atterri à Auckland, et rempli les formalités d’usage (récupérer le matériel de montage et les waders après désinfection à la douane, louer un véhicule, acheter le permis de pêche…), nous voici sur la route en direction de la ville de Rotorua située sur les rives du lac du même nom. Nous trouverons rapidement de quoi nous loger dans un Holiday Park au bord de l’eau à Ngongotaha.
Le temps est encore frais, nous sommes au début du printemps et je ne peux empêcher mes doigts de trembler alors que j’accroche une Glow Bug (imitation d’œuf de truite) au bout de ma ligne. Le bonheur de retrouver ces endroits merveilleux y est aussi pour quelque chose et les premières truites que je toucherai ce premier jour de pêche sauront profiter de ma fébrilité. En effet sur cette petite rivière d’une dizaine de mètres de large qui se jette dans le lac Rotorua, des myriades d’arcs-en-ciel (de 1 à 2 kg en moyenne) remontent du lac tout au long de l’année pour frayer plus en amont et se montrent très aggressives vis-a-vis de tout ce qui ressemble à un œuf, beaucoup moins sur les nymphes ou les streamers. Elles se pêchent très bien à vue dans peu d’eau (moins de 2 mètres) ou à l’indicateur de touche dans les pools plus profonds.
Ces retrouvailles se passeront assez mal pour moi puisque je décrocherai 2 truites ce soir-là et casserai sur la troisième après 2-3 mn de combat où j’aurai l’impression de tenir le pack des All Blacks au bout de la ligne. J’avais oublié à quel point ces truites défendaient crânement leur peau ! Le lendemain, la partie de pêche sera plus radieuse et je prendrai treize poissons d’1,5 kg en moyenne durant la matinée. Le parcours pêchable à cette époque de l’année est assez réduit sur la Ngongotaha (environ 1 km) entre le pont et le lac (l’amont du pont de la route nationale n’est ouvert qu’à partir du mois de décembre) et se retrouve très fréquenté par les locaux qui n’hésitent pas à vous piquer la place pendant que vous décrochez et relâchez un poisson ! C’est assez comique mais il y a suffisament de poissons pour contenter tout le monde et la bonne humeur l’emporte toujours.
Cette pêche est un peu particulière du fait que les truites ne sont que de passage et peuvent changer de pool d’une heure à l’autre. Il peut aussi arriver que la rivière semble vide certains jours, puis le lendemain vous trouvez plus de 20 truites dans un pool désert la veille. Ainsi va la pêche de ces truites si bagarreuses qui sont accompagnées sur ce cours d’eau de truites fario gigantesques (jusqu’à 8 kg) plus tard dans la saison (pêche en nymphe à vue ou au streamer la nuit). J’ai très peu pêché le lac Rotorua qui n’est pas très intéressant pour la mouche à cette époque de l’année, les truites fario fréquentant les bordures et les arrivées d’eau fraîche plus tard dans la saison ; elles sont surtout prises à la traîne au printemps, comme se pêchent aussi les arcs-en-ciel tout au long de l’année dans le lac.
Après cette mise en bouche pour le moins agréable, les choses sérieuses commencent pour moi sur la Waïau, réputée pour ses rainbows trophées et la difficulté de son accès qu’une étude des cartes topographiques de la région ne fait que nous confirmer. Nous prévoyons d’y rester une semaine avec Cathie, dont 3 jours consacrés à la marche (aller-retour). La météo nous annonce une semaine pas trop mauvaise et nous décidons de partir de bonne heure afin de gagner la première hut (sorte de refuge de montagne) en fin d’après-midi. La marche s’avère éprouvante : après avoir remonté la vallée de la Mimiha (8 km de côte), il faut redescendre sur l’autre versant par celle de la rivière Parahaki (5 h) qui en joignant ses eaux à la Waïroa forme la Waïau.
Les Maoris n’ont pas la même perception des cours d’eau que la nôtre et il arrive souvent qu’une rivière change plusieurs fois de nom sur son parcours. Il est aussi fréquent que deux rivières se rencontrant donnent naissance à une troisième. Cette descente se révèlera être un véritable enfer avec de l’eau jusqu’au nombril sur de nombreux secteurs escarpés où nous n’avons d’autres choix que de progresser dans le cours d’eau, de la boue sur les berges et les passages en forêt…je prie intèrieurement pour que l’eau ne monte pas avant notre retour.
Arrivés épuisés au refuge de Parahaki, nous rencontrons un chasseur d’opposum à qui nous portons un kilo de sucre de la part d’un copain à lui du village de Ruatahuna. Il faut dire qu’il vient de passer l’hiver seul dans le bush à traquer l’opposum (nuisible en Nouvelle Zélande) et que notre passage le ravit. Pendant qu’il nous offre le thé (même au fin fond du wilderness, il n’a pas oublié son côté british), ce dernier m’informe de la présence d’une double figure (truite de 10 livres -4,5 kg-) dans un pool à proximité ; mais il nous reste encore deux heures de marche avant d’atteindre le refuge de Central Waïau et je n’ai pas le courage de monter la canne, d’autant plus qu’il se fait tard. J’espère la retrouver au retour où nous avons prévu de passer la nuit dans ce refuge.
La Waïau est une rivière d’une vingtaine de mètres de large et profonde d’un à deux mètres en moyenne avec des pools jusqu’à 4/5m ; elle serpente au pied de falaises parfois impressionantes et de montagnes escarpées. L’eau est légèrement teintée couleur de thé, mais très claire et il est possible de pêcher à vue. Ainsi pendant 4 jours, je pêcherai dans ces montagnes loin de tout des truites de toute beauté, en sèche et en nymphe à vue. Le seul petit problème est la période d’activité des truites qui se résume au début d’après-midi (période d’éclosion d’éphémères de couleur brune, taille H14), de 13h30 à 16h00 environ à cette époque de l’année. Nous en profitons donc pour marcher le matin vers l’aval en direction du refuge Te Waiotukapiti où sont censées se trouver la plupart des truites trophées. Malgré tous mes efforts je n’en verrai pas l’ombre d’une, pourtant certains pools « puaient » la très grosse à plein nez. Je prendrai de 3 à 6 truites par jour d’une taille moyenne de 1,5 kg, la plus grosse pesant 2,5 kg pour 64 cm (nymphe à vue).
Il semblerait que cette rivière soit meilleure un peu plus tard dans la saison, vers le début du mois de décembre, mais ce fut quand même un plaisir énorme que de pouvoir pêcher des truites de cette taille en sèche à vue, technique qui me rappelait mes parties de pêche sur le Tarn (mis à part la taille des poissons, quoique…). Et la « double figure » du refuge Parahaki ?… me direz-vous. Et bien, j’ai commis une grossière erreur en pensant que la rivière était peu fréquentée à cette époque de l’année. En effet, un « kiwi » l’a prise la veille de mon retour au refuge, c’était une superbe arc de 12 lbs soit environ 5,5 kg ! C’est sur le carnet de bord du refuge que j’ai appris la (mauvaise) nouvelle, cahier sur lequel chacun note son itinéraire, ses impressions, etc.
Le retour à la civilisation se fera à Murupara où après un « pèlerinage » sur la Whirinaki, joyau de la pêche à vue elle aussi mais de taille plus modeste avec une présence assez forte de truites fario (50% de la population), j’aurai le loisir de pêcher la Rangitaïki puis le lac Aniwhenua célèbre pour ses arcs énormes. Pour ma part, j’y prendrai 3 browns de 1,5 kg environ dans la matinée en nymphe à vue sur le haut du lac où se forment des sortes de « flats » très agréables à pêcher avec des nymphes légères et de taille réduite (H16) sur de longs bas de ligne (14/100’’en pointe). Les grosses arcs-en-ciel (5 à 7 kg) se prennent en barque (location possible à Galatea pour 6 euros la demi-journée) dans les fosses et dans l’ancien lit de la rivière Rangitaïki à l’aide de soies ultra-plongeantes et de damsel fly (imitation de larve de libellule). J’avoue que ce n’est pas le genre de pêche qui me passionne et après un bref essai en barque, je renouerai avec les pêches à vue sur les bordures. La Rangitaïki m’offrira quelques belles truites en amont du lac, mais j’apprendrai plus tard que de très grosses truites sont prises régulièrement sur le bas de la rivière en aval du dernier barrage. A essayer si vous passez par là.
Sur les rivières de la région de Whakatane, je ferai mes premiers coups du soir (la région a un climat plus doux) sur la Waïmana, ainsi que sur la Whakatane. Ces coups du soir se solderont par la prise de 4 ou 5 truites à chaque fois d’un poids allant de 500g à 1,5 kg. Rien d’exceptionnel pour ce pays, mais du pur bonheur pour un frenchie peu habitué à ces pêches miraculeuses en France ! Et pourtant chez nous, il y a encore des « Ayatollahs du prélèvement à tout-va » qui croient détenir la vérité avec leur gestion « à la française » de nos eaux. Si seulement ils pouvaient retirer leurs œillères de temps à autres et prendre exemple sur ce qui se fait ailleurs au lieu de s’entêter à vouloir vendre plus de permis en abaissant les tailles légales et en alevinant à outrance (c’est ce qui se passe dans le département de l’Hérault actuellement) ! Cela fait cinquante ans que ça dure et ils n’ont toujours pas compris que ce shéma simpliste ne marchait pas !
Faut-il en rire ou en pleurer ? Avec nos 10 truites par jour et notre maille à 20 cm sur des cours d’eau de taille moyenne comme la Vis, l’Orb, l’Hérault ou la Lergue, on en est encore au Moyen-Age chez nous ! La fédération de pêche de l’Hérault n’a même pas mentionné le nombre de prises autorisées par jour sur la réglementation en 2003 et en 2004, c’est dire si elle se préoccuppe des prélèvements. En Nouvelle Zélande par exemple où le nombre de permis vendus est en augmentation tous les ans (ex : + 20% entre 2000 et 2003, est-ce vraiment étonnant ?), vous pouvez généralement ne conserver qu’un ou deux poissons par jour, les poissons de moins de 50 cm sont quasiment toujours relâchés par les locaux, aucun alevinage n’a lieu en rivière (ils ont compris depuis longtemps leur inutilité et leurs effets pervers), je n’y ai jamais rencontré de viandards écervelés avec 10 truites de 20 cm dans le panier comme on les voit faire en France ; tout ceci explique la richesse de ces rivières. Et qu’on ne me dise pas qu’elles sont peu pêchées car c’est absolument faux. Tous ceux qui ont pêché ce pays en conviendront. Je pense même que beaucoup de rivières françaises voient passer beaucoup moins de pêcheurs que leurs consoeurs des antipodes si ce n’est à l’ouverture sur les lâchers de truites surdensitaires, mais peut-on appeler ça de la pêche ?
Revenons à nos moutons (on est en Nouvelle Zélande !!!). Direction le sud : Taupo, du temps exécrable, des rivières en crue. On décide de continuer plus au sud : le parc national du Tongariro puis Taihape où l’on dormira. Il ne pleut pas encore et sitôt arrivé, je fonce sur l’Hautapu, petite riviére très lente aux eaux claires d’une dizaine de mètres de large qui serpente dans les prairies avec une profondeur moyenne de 1,5 m et qui héberge une excellente population de truites fario, ma « préférée » de l’île du Nord. J’y avais notamment pris une fario de 2,4 kg en sèche 4 ans plus tôt. Le temps d’enfiler les waders et c’est le déluge qui s’abat sur moi au sens propre comme au figuré car je sais que je ne pêcherai pas cette rivière cette année. Elle se trouble très vite dès la moindre pluie et il lui faut plusieurs jours pour éclaircir, et comme si ça ne suffisait pas, la pluie va durer 4 jours sans discontinuer.
C’est ainsi que s’achève notre séjour sur l’île du Nord qui restera pour moi teinté du regret d’être passé à côté d’une arc trophée si bêtement ! La traversée du détroit de Cook nous amène sur l’île du Sud à travers les bras de mer et les plages de sable blanc magnifiques des Marlborough Sound, escortés par des groupes de dauphins qui s’ébattent à la proue du bateau.
En Nouvelle Zélande, une truite trophée est un poisson d’au moins 10 lbs soit 4,5 kg. Ces poissons exceptionnels sont appelés « double figure » par les locaux et ne se rencontrent que sur certaines rivières… Toutefois, on peut considérer un poisson de plus de 3,5 kg comme tel car d’une part ils ne sont pas si nombreux que ça, et d’autre part leur prise n’est jamais aisée; n’oubliez jamais que s’ils ont atteint cette taille, c’est parce qu’ils ont été relâchés à plusieurs reprises et connaissent donc le goût de l’hameçon…
Arnold River a un niveau supérieur à la normale quand nous l’observons du pont avec Philippe, les arbres ont les pieds dans l’eau mais elle n’est pas trouble car elle provient du lac Brunner en amont. Nous décidons de tenter le coup et au milieu de la végétation Philippe prendra sa première truite en nymphe à vue sur un lancer roulé des grands jours. Il faut dire que l’eau est si haute que nous pêchons littéralement entre les arbres ! La truite a une robe superbe, on l’estime à 1,5 kg et on la relâche après la photo. C’est quand même le premier poisson de Philippe dans l’hémisphère Sud ! Nous en prendrons 4 autres (dont deux en sèche) cet après-midi là mais avec des conditions d’eau normales, il est possible d’en prendre 2 à 3 fois plus sur cette rivière. La plus grosse accusera 2,3 kg pour 61 cm, ce qui est à peu près ce qu’on peut espérer de plus gros sur Arnold River. Nous n’aurons pas la chance de connaître les coups du soir féeriques que j’avais connus trois années auparavant avec l’ami Michel en raison du niveau élevé des eaux. Le lendemain, le lac est pêché en float-tube par Philippe qui ne prendra que des « petits » poissons.
Nous décidons de mettre le cap au sud en direction des spring creeks de la West Coast (Rivières La Fontaine, Waïtangitaona, et de la région de Kokatahi entre autres). Ce sont en fait soit des rivières de résurgence soit des sources vauclusiennes dont la Sorgue du Vaucluse est l’archétype. Ces rivières sont à déconseiller à ceux qui ne maitrisent pas la pêche en nymphe à vue car elles sont très pêchées et les truites très éduquées. L’eau d’une clarté inouïe permet de repérer les poissons de loin, le problème est que la réciproque est vraie ! Nous prendrons beaucoup de plaisir sur ces cours d’eau et chaque séance de pêche se termine par la capture de 5 à 10 poissons à deux avec David (en pêchant ensemble à tour de rôle) et c’est l’occasion rêvée pour Philippe de se frotter aux subtilités de cette technique particulière qui est souvent décriée en France (par ceux qui ne la maitrisent pas ?).
Il parviendra même à leurrer une magnifique brown trout de 2,5 kg en sèche sur un cul de canard. Ces rivières sont peuplées de truites fario de 500 g à 3 kg en moyenne avec quelques spécimens plus gros encore. Il est nécessaire de pêcher fin (14/100’’ maximum, souvent 12/100’’) et de faire preuve d’une très grande discrétion dans l’approche. La profondeur varie de 1 à 2 m, la largeur va de 10 à 20 m selon les cours d’eau avec un courant régulier et un fonds tapissé d’herbiers, de graviers ou de sable fin. C’est sur ce type de rivière que je prendrai mon premier vrai trophée : une fario de 5 kg pour 77 cm en nymphe à vue après une bagarre de plus de 20 mn sous une pluie battante. Le genre d’événement que l’on n’oublie pas !
On retrouve ce type de rivière sur la côte est dans le Nord de l’île du côté de Blenheim. Les coups du soir étant rarement marqués sur ce type de cours d’eau, nous nous rabattons sur le lac Mapourika en soirée afin de profiter de ses prolifiques éclosions de sedges qui ont le don de mettre les poissons à table. Le lac est peuplé de farios de 1 à 3 kg et de quelques saumons enfermés (ouananiches) qui se pêchent surtout au streamer. Ces coups du soir nous retarderont pour l’heure de l’apéro, David et Phil ayant ramené des réserves d’apéritif anisé et de vin cuit de France si vous voyez ce que je veux dire ! Cathie et Bich ne se feront pas prier pour prendre un peu d’avance sur nous ces soirs-là et à notre retour de la pêche, l’ambiance est plutôt gaie dans l’appartement de location. C’est quand même mieux que la soupe à la grimace !
La Tekapo dans le Mackenzie Country fait partie de ces rivières mythiques dont on a tous entendu parler et que je n’avais jamais pêchée jusqu’alors. A Twizel, nous louons un 4×4 et après 1h de piste au cours de laquelle nous verrons une bonne trentaine de lièvres, nous voilà au bord de l’eau un peu décontenancés par le profil particulier de cette rivière de 30 m de largeur où il est très difficile de repérer un poisson s’il ne gobe pas en raison des reflets que l’absence de végétation et de relief aux alentours accentue. Les pools sont très allongés, mais ne semblent pas très profonds et sont peuplés d’arcs-en-ciel en tête de pool ou dans les veines d’eau les plus puissantes tandis que les farios se tiennent plutôt sur les bordures ou en queue de pool. Nous parviendrons à prendre quelques poissons gobeurs en sèche avant que le vent ne se lève et annihile toutes nos velléités. On comprend alors pourquoi il y a si peu de végétation dans cette vallée en U dont la largeur atteint plusieurs kilomètres à certains endroits. Le vent s’y engouffre avec une force incroyable et rend la pêche souvent impossible dans l’après-midi. Tout se joue de l’aube à midi puis au coup du soir. Il est cependant possible même par grand vent de prendre des arcs en nymphe à l’indicateur de touche en tête de pool mais cette pêche bien qu’efficace n’est pas vraiment passionnante.
Philippe touchera également quelques truites en noyée dans l’après-midi. Les farios prenaient de petits éphémères le matin en surface (H16) ainsi que des beetles (petits coléoptères verts ou marrons très présents dans la région) à partir de 10/11 heures. Cette rivière au paysage unique, très fleuri vous envoute très vite, vous donne envie de mieux la connaître et de partager ses petits secrets, d’autant plus que des truites trophées y sont capturées tous les ans. Malgré la difficulté d’accés (en 4×4 uniquement), cette dernière subit une forte pression de pêche et il est necessaire d’y arriver très tôt si l’on veut être sûr de pêcher un des meilleurs secteurs. Les densités de truites sont énormes sur ce cours d’eau, le Fish&Game y a recensé 250 truites de plus de 45 cm au kilomètre !
Il est possible en Nouvelle Zélande de se faire déposer sur une rivière en hélicoptère à un prix très abordable, notamment dans la région de Karamea au nord-est de l’île. Le tarif se situe aux alentours de 400 euros (pour quatre personnes) l’heure de vol, soit 100 euros par personne. A ce prix, vous pourrez vous rendre sur la Karamea et ses affluents qui comptent parmi les meilleurs coins de Nouvelle Zélande et vous mettre d’accord avec Tony le pilote pour la date et le lieu de récupération pour le retour. Après étude des cartes topographiques, nous optons pour la Roaring Lion Hut d’où nous pourrons pêcher la rivière éponyme ainsi que la Beautiful River son affluent principal et la Karamea qui forme un petit lac naturel en aval du refuge.
Avant de partir, Tony nous demande avec un air entendu si nous avons bien pris nos lotions anti-insectes car les sandflies (littéralement mouches de sable) seraient très nombreuses et particulièrement voraces dans la région. Nous sommes un peu étonnés avec Cathie car nous avons beaucoup pratiqué la région à pied (Wangapeka Track, Johnson River…) lors de précédents voyages et n’avons jamais été très génés par ces petits moucherons. Dès notre arrivée, nous comprenons ce que voulait dire Tony : nous sommes littéralement assiégés par les sandflies, des milliers de sandflies. A tel point que les filles vont passer les quatre jours dans le refuge ! Fort heureusement pour Philippe et moi, elles avaient emporté de la lecture et auront une patience d’or. Philippe se verra obligé de pêcher avec des gants en laine (sous 25°C !) pour protéger ses mains qui gonflent d’heures en heures sous les piqûres des insectes puis de cacher sa tête sous du tissus afin de ne laisser dépasser que ses yeux, les insect-repellents n’y font rien, il a trop de moucherons ! Un proverbe kiwi dit : “The more sandflies, the more trout”, plus il y a de sandflies, plus il y a de truites. Nous allons vérifier pendant la durée du séjour l’authenticité de ce dernier : la pêche sera fabuleuse dans des eaux cristallines et vierges de toute pollution.
Nous ferons les plus belles pêches en sèche sur la rivière Beautiful qui porte bien son nom tandis que la Roaring Lion nous offrira des moments d’anthologie en nymphe en vue. Cette dernière est tellement claire que l’on a l’impression de pouvoir la traverser aisément pour se retrouver avec de l’eau jusqu’aux aisselles là où l’on croyait en avoir jusqu’au genou, et elle est plutôt froide ! Les truites prennent sur de petites émergentes en CDC (taille H16) ainsi que de petites Pheasant tail souvent très plombées pour aller les chercher plus profondément sur la Roaring Lion. Nous pêchons sur du 16 ou du 14/100’’, ce qui n’est pas forcément un gage de succés car ces truites fario ont une défense hors du commun comme tous les poissons de ce bassin versant. Ce fut l’un des plus beaux endroits qu’il m’ait été donné de pêcher et la qualité des prises, de magnifiques browns de 1 à 3 kg ne fera qu’accroître cet émerveillement. Nous prendrons de 5 à 10 poissons par jour, en perdront pas mal aussi en raison de leur défense de feu. Ces rivières sont situées dans le parc national de Kahurangi (signifiant « possession précieuse » en langue maorie) où se trouve le plus important réseau de grottes connu dans l’hémisphère Sud, et des merveilles au niveau de la flore et de l’avifaune entre autres, sans doute un des parcs nationaux parmi les plus extraordinaires au monde.
Après le départ de Philippe et Bich, nous décidons avec David de nous rendre sur l’Ahuriri où j’avais bien réussi 3 ans plus tôt, avec notamment deux truites de 3 kg et une autre de 4 kg. Mais les années se suivent et ne se ressemblent pas en Nouvelle Zélande car la rivière charrie des eaux de neige et nous ne pêcherons que les petits étangs naturels (Ahuriri Lagoons) situés à proximité. Ces étangs alimentés par des sources communiquent avec la rivière et ont une profondeur moyenne d’un mètre pour une superficie de 5 à 10 ha. A l’aube, David y prendra 3 farios de 2 kg en sèche alors que j’en raterai une seule. Je ne suis pas habitué à me lever aux aurores ! Cette pêche est passionnante sur des poissons qui font des circuits et qu’il faut intercepter au passage mais ne dure pas longtemps car dès 9 h 30, le vent se lève et rend toute pêche impossible.
La région de Te Anau sera plus accueillante pour moi : je prendrai 3 truites farios sur l’Oreti en nymphe à vue sur le parcours « trophées » (tout poisson de plus de 40 cm doit être relâché) : 2, 2,5 et 3,6 kg. Ce parcours extrèmement pêché contient des truites particulièrement éduquées et il faut pêcher très fin (12/100’’) pour tirer son épingle du jeu et vu la taille des poissons, ce n’est pas toujours une sinécure. J’en perdrai d’ailleurs deux autres et aurai beaucoup de chance sur la plus grosse, celle-ci se contentant de dévaler dans un autre pool et d’y tourner en rond en pleine eau avant que je ne l’amène à l’épuisette, ce qui dura au moins 25 mn tout de même. Ces farios sont assez difficiles à voir malgré la clarté de l’eau, le fond ayant une couleur plutôt sombre. Au moindre doute, il faut essayer un passage de la nymphe sinon l’on risque de passer à côté de beaucoup de poissons. Ces derniers ont une attitude un peu taciturne, certains jours vous en verrez partout, et d’autres vous aurez l’impression que la rivière est vide avec pourtant des conditions atmosphériques similaires. Ceci nous rappelle une fois de plus que nous avons affaire à des truites sauvages au cas où nous l’aurions oublié. Mais que cette rivière est riche en grosses truites !
La Worsley qui se jette dans le lac Te Anau a un peuplement intéressant en truites arcs-en-ciel (en plus des farios) tout comme la Clinton qui coule à proximité. C’est assez rare sur l’île du Sud. Ces deux cours d’eau sont accessibles uniquement en bateau (depuis Te Anau Downs) ou en hydravion (c’est plus cher). L’eau y est très claire et c’est une pêche à vue qui se pratique sur ces rivières d’une vingtaine de mètres de largeur. La plus grosse truite que j’y prendrai sera une arc de 3,6 kg pour 66 cm qui ne résista à un subimago en cul de canard (H14), mais il y a bien plus gros à prendre ! J’en prendrai 2 autres de la même manière et deux farios en nymphe. Curieusement, les farios avaient toutes des tailles plus réduites (1/2 kg), et une fois de plus je serai étonné par le degré d’éducation de ces truites dans un endroit a priori isolé. Il est fort possible qu’en fait beaucoup de pêcheurs de passage dans la région raisonnent comme moi, et que ces lieux soient finalement très fréquentés par des pêcheurs qui s’y rendent en bateau ou en hydravion. Sachez aussi que ces rivières sont envahies de sandflies…et de moustiques qui se réveillent le soir pour finir le boulot des premières ! La pluie, le vent et la neige nous rattrapent une fois de plus et vont grossir les rivières de la région, notamment la Mataura (un délice pour ceux aimant les pêches fines en sèche) que nous ne pourrons pas pêcher.
Nous changeons alors de secteur et nous rabattons sur une spring creek. Il est toujours conseillé dans ce pays de repérer ce type de rivière afin de se rabattre dessus en cas de montée des eaux ou de changer radicalement de région dans le cas contraire quitte à faire plusieurs centaines de kilomètres. Rester sur une rivière sale en attendant la décrue n’est pas rentable ici. Nous n’allons pas regretter notre choix : sur deux jours, David prendra une truite de 5 kg, et deux de 4 kg et moi-même deux de 4 et 4,5 kg, et un poisson énorme de 6,5 kg en nymphe à vue, sans parler des casses mémorables que nous subirons, d’une canne qui a rendu l’âme après tant d’efforts (3 voyages en Nouvelle Zélande !), de nos muscles tétanisés face à ces monstres dans un courant somme toute assez puissant ! C’est toujours le souffle court qu’on arrive à maîtriser de tels poissons car nous savons tous qu’ils sont extrêmement rares dans une vie de pêcheur, même en Nouvelle Zélande ! Je connais des gens qui pratiquent ce pays depuis des années et qui même guidés n’ont jamais pris de poissons de plus de 8 lbs. Je crois que nous avons bénéficié d’une chance exceptionnelle de pouvoir nous mesurer à ces monstres !
David qui n’a plus pêché en rivière depuis 2 ans (il réside actuellement en Nouvelle Calédonie où il « s’occupe » des bonefishs) retrouvera vite ses automatismes de grand « nympheur » lodévois et nous sortira le grand jeu pour aller cueillir son trophée dans plus de 2 m d’eau et un courant puissant. Après avoir attaqué la truite de l’aval, il se rend vite compte que celle-ci n’est pas atteignable de cette manière malgré nos bas de ligne de 6 m, et se déplace à quatre pattes sur la berge (il faut toujours savoir garder profil bas dans ces moments !) pour l’attaquer de l’amont, sans être jamais entré dans le champ de vision de la truite, du grand art ! Il peut alors lancer « en paquet » à son niveau pour voir la nymphe passer à la bonne profondeur au niveau de la belle 15 m en aval après avoir repositionné la soie, donner du mou quand il le fallait… C’est alors que comme dans un rêve, nous voyons la truite se décoller nonchalamment du fond pour cueillir le leurre. David répond par un ferrage appuyé et c’est alors l’enfer qui se déchaîne : rush, chandelles, nouveau rush, le moulinet chante, le poisson semble entreprendre un Haka au bout de la ligne. Fort heureusement, le frein répond bien et évite à David de subir une nouvelle casse (il crie très fort en général !) et après vingt minutes d’incertitude et de tension, la truite est mise à l’épuisette : 81 cm pour 5 kg ! Je sais qu’il n’oubliera jamais ces instants, moi non plus d’ailleurs ! La séance photo sera écourtée le plus possible pour que la truite reparte convenablement, certains clichés ressortiront un peu flous, l’émotion sans doute même si nous sommes en soirée et que la luminosité est en train de baisser. Après une nuit quasiment blanche, nous nous apprêtons à retourner sur la rivière au petit matin, la tension est palpable car aussi bien lui que moi savons que nous risquons fort d’attendre quelques années avant de refouler cette terre bénite pour les moucheurs et nous quittons la région le lendemain !
Et ce jour-là, c’est moi qui toucherai le gros lot ! Je repère un poisson monstrueux que j’estime à 7 kg, je n’ai jamais vu un tel poisson en Nouvelle Zélande jusqu’alors. La truite prend des nymphes dans un mètre d’eau environ, mais une veine d’eau va me géner pour lui présenter la mienne correctement et je sais pertinemment que je n’aurai pas deux chances, ma première dérive doit être parfaite sinon la sanction sera immédiate. Je respire un bon coup et commence à fouetter. Une veine d’eau puissante et large de 6/7 m qu’il est impossible de traverser arrive sur ma droite tandis que la truite se trouve à 10 m en amont de celle-ci sur l’autre bras de la rivière beaucoup plus calme : je n’ai d’autres choix que de poser ma nymphe très près de la truite avec la soie et le bas de ligne détendus au maximum pour éviter un dragage de la nymphe avant qu’elle n’atteigne le poisson. Et le miracle se produit. J’ai beau hurler, David à 100 m en amont ne m’entend pas à cause du bruit de la rivière, je vais devoir me débrouiller tout seul ! Le poids de ce poisson me donne des frissons, je crains à tout moment de sentir le nylon céder.
Après environ 5 mn de bagarre (ne me demandez pas ce qui c’est passé, j’étais ailleurs !), je parviens à ramener ce monstre à 2 m en amont de moi et étonnamment la truite qui a la tête dans un herbier s’immobilise. Je commence à y croire ! Je m’approche d’elle d’un pas léger et tente de la mettre à l’épuisette dans cette position, c’est à dire en commençant par la nageoire caudale et en remontant vers la tête. Je sais très bien que c’est déconseillé mais je n’ai pas d’autre solution ! Et alors que tout doucement le cadre de l’épuisette arrive à hauteur des pectorales, je suis soudain pris de stupeur : la truite ne rentre pas dans l’épuisette dans ce sens ! Tout à coup une gerbe d’eau me rafraîchit les idées, la truite a dû toucher le filet et s’enfuit à grands coups de nageoires vers l’aval, je me traite intèrieurement de tous les noms tout en essayant de garder un minimum de sang froid et après diverses péripéties, je parviens à maintenir le poisson déjà affaibli dans une retourne au faible courant, il n’y a plus qu’à attendre qu’il soit K.O pour tenter une mise à l’épuisette et la bonne cette fois-ci ! Ce sera fait quelques minutes plus tard ( 5, 10, 20 ? J’en sais rien), le 18/100’’ a tenu le choc, c’était du nylon ASSO Ultra (double strengh) et ce fil que j’utilise aussi en France depuis deux ans est à mon avis le plus costaud (et un des moins visibles dans l’eau) parmi les nylons du marché. Je vous le conseille vivement si vous n’avez pas encore trouvé votre fil fétiche. Cette truite trophée accusera un poids de 6,5 kg sur le peson pour 84 cm et sera rendue à sa rivière après quelques photos.
6,5 kg pour 84 cm en nymphe a vue
Nous quittons ces paradis le cœur gros avec pour seul objectif d’y retourner le plus vite possible. Le chemin du retour sera long à bien des égards. Norman McLean écrivait à la fin de son livre « La rivière du sixième jour » qu’il était hanté par les eaux. Je crois que tous ceux qui ont mis les pieds une fois au bord des rivières néo-zélandaises sont comme moi, pensent à ce pays tous les jours, il reste à jamais gravé dans nos pensées. Après avoir passé près d’un an de ma vie aux antipodes, je crois que je suis hanté par cette terre au long nuage blanc.
Par Laurent Renard